Culture,  Histoire

La République de Babin

Le 16e siècle fut pour ainsi dire l’Âge d’Or du Royaume de Pologne. La vie était paisible. Il n’y avait ni lutte religieuse, ni guerre sérieuse. La littérature fleurissait. A cette époque-là, dans un village appelé Babin, situé près de la ville de Lublin à l’est du pays, la noblesse créative fonda une société satirique, littéraire et carnavalesque dont l’objet était de pointer les abus de personnages importants, avec impartialité et humour.

Le village de Babin appartenait à un juge au tribunal de Lublin. Loin de l’image austère de sa profession, Stanislaw Pszonka était un noble aussi riche que facétieux. Sa gaieté avait une telle réputation qu’on le disait invité à toutes les fêtes de la région. Avec des amis, il fonda au milieu du 16e siècle la République de Babin, une association dont la devise était «Ridendo castigo mores» (je corrige les moeurs en riant). Tout y était sujet à farce et fantaisie, mais toujours avec délicatesse.

Pszonka, le juge badin

La société se réunissait lors de fêtes souvent arrosées. On s’attribuait des titres, comme il en existait alors en Pologne. Il y avait un sénat, des voïvodes, châtelains, starostes, hetmans, évêques, juges et autres fonctionnaires. Pszonka lui-même, se nomma burgrave, l’équivalent d’un préfet ou d’un vicomte. Les personnages objets des critiques recevaient aussi des titres parodiant les défauts de leur caractère. Les faux-courageux étaient ainsi fait Chevaliers de Babin. Les vantards étaient nommés Orateurs de la République. Les nominations étaient confirmées sous la forme de diplômes cachetés. Il y était mentionné : «Omnis homo mendax» (Tout homme est un menteur).

L’association définit des critères d’appartenance au gouvernement de la République de Babin : avant tout gaité et sens de l’humour, mais aussi tact et bonnes manières. Personnages acerbes, déplaisants ou maussades s’abstenir.

Jan Matejko: République de Babin. 1881 (détail).
Jan Matejko: République de Babin. 1881 (détail).

Les deux Républiques

Sigismond-Auguste, le dernier roi de la dynastie jagellonienne, était réputé pour sa spiritualité et sa tolérance. Il s’amusait de la République de Babin. Une fois, il demanda s’il y avait un roi dans cette société festive. «Non, Sire», lui répondit Pszonka, «et de votre vivant nous ne songerons pas à en choisir un. Régnez dans la République de Babin comme vous régnez dans celle de Pologne.» Sigismond-Auguste rit, satisfait de la réponse.

De nombreuses célébrités visitèrent Babin, dont le poète Jan Kochanowski, l’écrivain Mikolaj Rej et, plus tardivement le diplomate et poète Jan Andrzej Morsztyn. Il est possible que Babin ait contribué au développement de la littérature polonaise. Il est certain qu’il influença l’exercice du pouvoir en Pologne. Des titres humoristiques furent portés par les membres de grandes familles de la noblesse, comme Tarnowski, Zamojski, Potocki, Ossolinski ou Myszkowski.

Stanislaw Pszonka mourut vers 1580, sans que l’on connaisse la date exacte, mais la tradition de la République de Babin se poursuivit sous la direction de ses fils et petit-fils jusqu’en 1677.

Depuis la mort de Sigismond-Auguste en 1572, la situation politique avait changé dans le pays, de même que les coutumes en vigueur. Au 17ème siècle, les temps étaient devenus incertains et guerriers, la parole s’était faite prudente et l’humeur badine plus discrète.

Les successeurs

Au 18e siècle, la République de Babin trouva des imitateurs en France. En 1702, Philippe Emmanuel de La Place de Torsac et Étienne Isidore Théophile Aymo fondèrent ainsi le Régiment de la Calotte, société carnavalesque d’origine militaire, très active jusqu’en 1752.

Aussi, pendant le séjour des troupes françaises à Varsovie en 1807, marquant le début du Duché de Varsovie, une joyeuse compagnie internationale fut créée sous le nom de Betomanie. Au cours de longs diners, les participants testaient sur un ton enjoué la spiritualité de leur esprit, comme au bon vieux temps de Babin.

La seule représentation connue de la République Babinienne a été réalisée tardivement, en 1881, par Jan Matejko, le plus célèbre auteur polonais de peintures historiques. Il sut rendre l’atmosphère colorée et débridée de la société satirique de cette heureuse époque.

Jan Matejko: République de Babin. 1881. Huile sur toile. 96 x 200 cm. Musée National de Varsovie.
Jan Matejko: République de Babin. 1881. Huile sur toile. 96 x 200 cm. Musée National de Varsovie.

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Bibliographie:

. Łukasz Gołębiowski: Gry i zabawy (Warszawa, 1831).

. Leonard Chodźko: La Pologne historique, littéraire, monumentale et illustrée, ou scènes historiques (Paris, 1841).

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