Les Lemkos sont, avec les Caraïtes, les Roms et les Tatars, une des quatre petites minorités ethniques vivant aujourd’hui en Pologne. Leur région historique se situe à l’est des Carpates, à la frontière de la Pologne, la Slovaquie et l’Ukraine. Elle s’appelle Lemkivshchyna (en polonais: Łemkowszczyzna).
L’apparition
Au 14e siècle, des peuplades nomades venant du sud ont pénétré les forêts encore sauvages des Carpates du Nord. Accompagnés de leurs troupeaux itinérants, les nouveaux venus se sont alors installés principalement dans les vallées des flancs hongrois et polonais des massifs Beskid Niski et Sadecki, où, peu à peu, ils créèrent des villages. Ce n’est qu’au 20e siècle qu’ils acceptèrent le surnom de Lemko (prononcé ouemko), donné par leurs voisins à cause de leur usage excessif de l’adverbe «lem», emprunté à la langue slovaque.
Avant la Seconde Guerre mondiale, la Pologne s’étendait beaucoup plus loin à l’est. A ses confins, la tradition polonaise se mêlait aux influences lemkovienne et ruthène (une ethnie slave orientale), complétées par la culture juive. Tandis que les Ruthènes sont majoritairement orthodoxes, les Lemkos font partie de l’Eglise grecque-catholique de Pologne, utilisant le rite byzantin tout en reconnaissant l’autorité du pape.
La fin du multiculturalisme
Les tensions ont commencé au 19ème siècle, lorsque cette région, renommée Galice, se retrouva sous domination autrichienne. Pour éviter leur soulèvement, l’occupant organisa l’antagonisme entre les populations locales. Aussi, à la fin du 19e siècle, une école d’agitateurs fut créée à Berlin, dont certains élèves furent envoyés en Galice pour répandre la haine parmi le peuple ruthène vis-à-vis de ses voisins.
En 1943 et 1944, l’UPA, mouvement nationaliste ukrainien, organisa le génocide de la population polonaise de Volhynie et Podole (environ 133 000 – 300 000 personnes). La cause directe était une provocation stalinienne: un groupe de guérilleros du NKVD soviétique, coiffés de casquettes avec un aigle blanc polonais, avait assassiné les habitants de deux villages ukrainiens (ruthènes).
L’opération Vistule
Après la guerre, comme le culte de Stepan Bandera (ukr. Степан Андрійович Бандера), dirigeant de l’UPA, était populaire parmi les Ukrainiens, le gouvernement communiste de Pologne, sur ordre de Staline, sépara la population sur une base linguistique. Ce fut l’Opération Vistule (1947). Ainsi, il déporta les Ruthènes vivant en Pologne vers la nouvelle République d’Ukraine. Tandis qu’il rapatria les Polonais ayant survécu aux massacres dans les nouvelles frontières de la Pologne, plus à l’ouest.
Les Lemkos furent victimes de cette politique. En effet, le gouvernement communiste réinstalla de force 35 000 d’entre eux dans les territoires occidentaux du pays et envoya 90 000 autres en Union soviétique, afin, à la fois de les couper de leurs racines et former un «Etat homogène au plan national». Et la déportation ethnique des Lemkos ne fut reconnue et condamnée qu’après l’effondrement du système communiste, un demi-siècle plus tard.
Lors du recensement de 2011, 11 000 individus se sont déclarés Lemko en Pologne. Une population plus nombreuse vit en Slovaquie.
Le patrimoine Lemko
Jusqu’en 1914, 90% des bâtiments des villes et villages polonais étaient construits en bois. La principale trace de la culture lemkovienne reste donc celle d’églises en bois au sud-est de la Pologne. Désormais parfois utilisées par des paroisses catholiques, elles se trouvent souvent sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Les églises grecque-catholiques (uniates) puisent généralement dans la culture byzantine, avec une riche décoration intérieure caractérisée par de magnifiques iconostases et polychromies ornementales. La spécificité architecturale Lemko est le plan à trois corps presque carrés avec le porche d’entrée situé dans la tour la plus élevée, qui abrite également des cloches. Le rite religieux oriental est différent du culte latin, avec davantage de traditions et de couleurs. Mais des objets situés au point de rencontre des cultures orientales et occidentales permettent de constater l’influence de la culture latine. A ce jour, le seul monument historique en bois encore utilisé par les uniates est l’église de Rzepedz, située dans les pittoresques montagnes de Bieszczady.
L’artiste d’origine Lemko le plus connu est Andy Warhol, dont le véritable nom est Andrej Varchola (1928 – 1987). Il naquit aux Etats-Unis de parents slovaques lemkoviens. Parmi les artistes polonais, deux peintres Lemko sont particulièrement appréciés: Nikifor Krynicki et Jerzy Nowosielski.
Nikifor
Le véritable nom de Nikifor Krynicki (1895 – 1968) est Epifaniusz Drowniak. Il utilisa le surnom de Nikifor dès son enfance. Et il obtint tardivement son nom de Krynica, sa ville natale, réputée pour ses eaux thermales. Nikifor était le fils d’un Polonais inconnu, artiste-peintre selon la légende, et de Jawdokia Drowniak, une lemkovienne pauvre et infirme qui effectuait des travaux simples dans les maisons d’hôtes de Krynica.
Très tôt orphelin, Nikifor vivait seul et dans la pauvreté. Il était aussi considéré comme handicapé. En 1947, lors de l’opération Vistule, il fut déplacé à l’ouest de la Pologne, d’où il revint trois fois jusqu’à Krynica. Son obstination paya puisqu’il fut finalement autorisé à rester après son troisième retour.
L’art naïf
Le travail de Nikifor fut découvert en 1930 par le peintre ukrainien Roman Turyn (ukr. Роман Турин), qui étudia à l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie puis vécut à Krynica. Quelques ouvrages sur Nikifor furent écrits par Ella et Andrzej Banach, critiques d’art renommés de Cracovie, qui prirent soin de lui entre 1948 et 1959. De 1960 à la mort de Nikifor, Marian Wlosinski, peintre de Krynica, prit le relais, consacrant son talent à Nikifor et lui garantissant de bonnes conditions de travail et de vie. Après la mort de Nikifor, il veilla aussi à la préservation de son oeuvre.
Nikifor s’intéressait à l’architecture, et les églises représentaient son sujet de prédilection. L’une des plus intéressantes créations de l’artiste est la série intitulée « Architecture fantastique », réalisée pendant l’entre-deux-guerres.
Nikifor avait la sincérité authentique d’un enfant. Il jouait avec les couleurs, utilisant les aquarelles les moins chères, comme un élève de l’école primaire.
L’artiste a peint des dizaines de milliers de tableaux. La plus grande collection se trouve au musée de Nowy Sacz. Le musée Nikifor, plus petit, se trouve à Krynica, dans la galerie Romanowka.
Le Sacrum de Nowosielski
Jerzy Nowosielski (1923 – 2011) est né à Cracovie. Son père était un Lemko de religion uniate et sa mère était une Polonaise d’origine allemande. Il étudia la peinture à l’Académie des Beaux-Arts de sa ville natale, ainsi que l’iconographie près de Lwow (puis Lviv).
La création de Nowosielski peut être vue comme une alliance entre théologie et peinture. Selon Nowosielski, le Sacrum est la zone de conscience humaine qui n’est pas soumise à une analyse rationnelle; elle concerne l’évaluation spirituelle de la réalité. Le peintre s’est parfois inspiré de l’icône.
Il a abordé des thèmes religieux en cherchant la strate du Sacrum dans le monde autour de lui, et notamment dans l’érotisme. Un paradoxe? Nowosielski remarquait que la culture hindoue était saturée d’éléments érotiques et que ce n’était pas de la pornographie. Dans le monde occidental, la société, y compris religieuse, était restée souvent fermée à l’intuition métaphysique. La scolastique essayant de rationaliser la foi pourrait avoir eu une influence significative en cela.
L’oeuvre de Nowosielski n’est pas facile à classer. Elle semble anachronique et moderne à la fois. Sur un plan artistique autant que religieux, il peut exister diverses interprétations.
Bibliographie:
. Przebudzenie łemkowskiej tożsamości. Rp.pl.
. Elżbieta Dzikowska: Jerzy Nowosielski. Rosikonpress.com.
. Jan Nowak-Jeziorański: Rzeczpospolita atlantycka. Kolegium Europy Wschodniej, 2014.