Wladyslaw Anders (1892-1970) figure au panthéon des grands hommes polonais. Après avoir sauvé près de cent vingt mille prisonniers des camps soviétiques, le général constitua le 2e corps polonais. Lors de la campagne d’Italie, il conduisit cette armée en exil à la célèbre victoire de Monte Cassino en mai 1944. Ardent défenseur de l’indépendance de la Pologne, déchu de sa nationalité et de ses titres militaires par le gouvernement communiste en 1946, le général Anders personnifia la résistance au sacrifice de la démocratie polonaise.
Prisonnier de guerre
Wladyslaw Anders naquit en 1892 dans une famille protestante évangélique à une centaine de kilomètres à l’ouest de Varsovie. Cette région se trouvait alors dans les territoires annexés par l’Empire russe. Comme ses trois frères, Wladyslaw suivit une carrière militaire. En tant que jeune officier, il servit dans l’armée impériale pendant la Première Guerre mondiale. Lorsque la Pologne retrouva son indépendance en novembre 1918, Anders rejoignit les forces terrestres polonaises nouvellement créées. Il commanda ainsi un régiment pendant la guerre polono-soviétique de 1919-1921.
Promu général, il dirigeait une brigade de cavalerie lors des invasions nazi puis soviétique de la Pologne en septembre 1939. Capturé par les forces russes, Anders fut transféré en février 1940 à la sinistre prison de la Loubianka à Moscou. Il y fut interrogé, torturé et incité en vain à rejoindre l’Armée rouge.
Après s’être partagé le territoire polonais, les dirigeants du Troisième Reich et de l’Union soviétique y mirent en œuvre des desseins funestes similaires : l’extermination des élites, le nettoyage ethnique et l’élimination culturelle. Près d’un million et demi de Polonais furent ainsi déportés dans les goulags sibériens entre 1939 et 1941.
La situation se renversa brutalement avec l’invasion de la Russie par l’Allemagne nazie en juin 1941. Staline avait désormais besoin de nouveaux alliés. En août 1941, il s’accorda ainsi avec le général Sikorski (1881-1943), chef du gouvernement polonais en exil à Londres pour libérer les prisonniers et créer une armée polonaise en Union soviétique. Ils choisirent le général Anders pour la bâtir, puis la diriger.
L’Armée d’Anders
Les soldats et civils polonais détenus depuis l’invasion soviétique de la Pologne le 17 septembre 1939 étaient théoriquement libérables. Cependant des milliers d’entre eux ne connurent pas l’existence de cette amnistie. Les autorités des camps de travail cachèrent en effet souvent cette ordonnance. Seuls les hommes malades ou handicapés physiquement étaient libérés. Ceux en bonne santé étaient maintenus en prison car les Russes souhaitaient conserver cette main-d’œuvre avantageuse.
Le recrutement se déroula donc lentement. Avec l’aide des Alliés, Anders en profita pour obtenir le transfert de ses troupes vers l’Iran, où elles seraient prises en charge par les Anglo-Américains. Entre mars et août 1942, cent quinze mille Polonais, dont soixante-douze mille soldats, débarquèrent ainsi en terres persanes. Le général Anders fut le dernier évacué le 19 août 1942.

Quelques mois plus tard, la bataille de Stalingrad ayant tourné à l’avantage des Russes, Staline n’attachait plus le même intérêt au développement du front d’Italie. Le 16 janvier 1943, un règlement stipula que tous les résidents polonais provenant de zones occupées seraient considérés comme citoyens soviétiques. Il leur était désormais interdit de quitter la Russie.
Katyn
Le 14 avril 1943, la radio allemande annonça la découverte de charniers de milliers d’officiers polonais dans la forêt de Katyn, près de Smolensk. Trois ans auparavant, les prisonniers de guerre avaient été tués en uniforme, d’une balle dans la nuque, par la police politique de l’Union soviétique. Par cette révélation, le régime nazi espérait isoler les communistes des puissances démocratiques alliés. Le gouvernement polonais en exil demanda effectivement une commission d’enquête à la Croix-Rouge Internationale. Les autorités soviétiques rompirent alors leurs relations diplomatiques, confirmant les prémonition anxieuses du général Anders. Et peu après, début juillet 1943, le général Sikorski disparut au large de Gibraltar, dans un accident d’avion qui ne fut jamais élucidé.

Communautés polonaises en Afrique
Dès juillet 1942, le gouvernement polonais en exil à Londres s’accorda avec les autorités du Royaume-Uni et les gouverneurs de certains de ses protectorats d’Afrique orientale pour y installer une partie des réfugiés polonais jusqu’à la fin de la guerre. Plus de treize mille citoyens polonais y furent ainsi recensés fin 1944.
Situé près d’une voie ferroviaire, Rusape, un village de Rhodésie du Sud (aujourd’hui Zimbabwe), compta parmi ces destinations. Le gouvernement colonial y fit construire à la hâte 70 cases disposées en lotissements. Un premier groupe de cinq cents réfugiés y débarqua en train le 23 février 1943. Le convoi, parti d’Iran quelques semaines plus tôt, avait transité par les ports de Karachi en Inde et Beira au Mozambique. Le site s’agrandit plus tard pour compter jusqu’à 150 bâtiments abritant 726 personnes, dont 365 femmes, 295 enfants et 66 hommes.

Le domaine s’organisait autour d’une place principale bordée d’une chapelle. Il disposait de sa propre ferme, à proximité d’une rivière. Il comptait aussi une salle commune avec une radio, une bibliothèque, une cantine, un bureau de poste et un dispensaire médical géré par la Croix-Rouge. Compte tenu du nombre important d’enfants, la communauté édifia deux écoles et fit appel à un groupe d’enseignants polonais vivant précédemment à Chypre. Elle aménagea un terrain de sport et établit une organisation scout. Les autorités britanniques couvraient les frais d’installation et d’entretien tout en imputant les dépenses à la dette du gouvernement polonais en exil. Les domaines furent fermés fin 1946. Rénovés en 2022, le cimetière de Rusape et sa douzaine de sépultures polonaises témoignent de ce passage.

Wojtek, l’ours soldat
Un jour d’avril 1942, un jeune perse donna un ourson brun abandonné à un groupe de soldats polonais en échange de quelques conserves et barres de chocolat. L’animal sembla apprécier leur compagnie et se révéla très sociable. Les militaires le nommèrent Wojtek, diminutif d’un prénom slave dont l’étymologie signifie « guerrier joyeux ». Ils le nourrirent d’abord de lait concentré puis enrichir son régime de fruits, de mélasse, de confiture et de miel. Ils lui apprirent à combattre et à saluer, mais aussi à boire de la bière et à fumer des cigarettes. Les soldats assemblèrent une grande caisse en bois où il pourrait dormir mais Wojtek préférait passer ses nuits sous leur tente.

Devenu la mascotte de la 22e compagnie de ravitaillement d’artillerie, l’ours fut officiellement intégré à l’armée polonaise. Il la suivit à travers l’Iraq, la Syrie, la Palestine et l’Egypte pour ensuite participer à la campagne d’Italie. Promu au grade de caporal, Wojtek aidait les soldats à transporter de lourdes caisses de munitions. Après la guerre, il suivit son unité militaire démobilisée en Angleterre, avant d’être placé au zoo d’Edimbourg en 1947. L’animal préférait continuer de côtoyer des êtres humains plutôt que ses semblables. Lorsqu’un ancien militaire polonais lui rendait visite, il semblait le reconnaître. Wojtek mourut en 1963 à l’âge de 22 ans. Il reste à ce jour le seul ours au monde à avoir servi officiellement dans une armée.

Victoire à Monte Cassino
Incorporé à la 8ème armée britannique, le 2e corps polonais participa à la campagne d’Italie. Les cinquante mille soldats dirigés par le général Anders débarquèrent ainsi en Sicile en juillet 1943.
Leur victoire la plus décisive fut la prise du monastère de Monte Cassino, une colline transformée en un verrou défensif stratégique par les nazis.
L’assaut démarra en janvier 1944. Les deux premières batailles, frontales, engagèrent principalement des troupes américaines, britanniques, néo-zélandaises et indiennes, appuyées par le corps expéditionnaire français dirigé par le général Juin. Après un repositionnement discret, deux nouvelles attaques décisives eurent lieu en mai 1944. Le corps Français participa ainsi à la troisième bataille consistant à contourner le mont Cassin en traversant, à vingt-cinq kilomètres au sud-ouest, les monts Aurunci, que les allemands estimaient infranchissables. Simultanément, l’armée d’Anders reçut la mission périlleuse de conquérir le monastère.
Marquant l’issue victorieuse de la quatrième et ultime bataille, le 12e régiment de lancier Podolski eut l’honneur de hisser son étendard rouge et blanc sur les ruines de l’abbaye le 19 mai à 10h20. Il fut bientôt rejoint par le drapeau britannique. Dans l’après-midi, sonna le hejnal mariacki, l’air claironné chaque heure du clocher de la basilique Sainte-Marie de Cracovie.


Avec cent quinze mille hommes tués ou blessés, la victoire de Monte Cassino fut chèrement acquise par les forces alliés. Mais elle ouvrit la route vers Rome. Elle symbolisa aussi le combat des soldats polonais aux côtés des Alliés occidentaux. Leur devise était: « pour votre et notre liberté ».

La désillusion de Yalta
Pourtant, des nuages noirs avaient déjà assombri la perspective d’une Pologne libre. En effet, fin 1943, lors de la Conférence de Téhéran, Roosevelt et Churchill avaient accordé à Staline le droit de rattacher après-guerre les régions orientales du pays à l’URSS. Puis, lors d’un discours à la Chambre des Communes le 22 février 1944, le premier ministre du Royaume-Uni avait fait référence à la ligne Curzon, un tracé proposé comme une ligne d’armistice possible par la diplomatie britannique pendant la guerre russo-polonaise de 1920. Cette ligne se situait 200 km à l’ouest de la frontière finalement établie en 1921 après la défaite des bolcheviks. La position de Churchill avait consterné les Polonais en exil, mais le général Anders s’était montré optimiste et déterminé à poursuivre le combat contre les Allemands, aux côtés des Alliés, jusqu’à la victoire finale.

Malheureusement la conférence de Yalta en février 1945 entre le Royaume-Uni, les Etats-Unis et la Russie acta que la ligne Curzon constituerait bien la frontière entre la Pologne et l’URSS. Bien entendu, les Soviétiques prirent le soin ultime d’en modifier le tracé initial à leur avantage. Ils transférèrent notamment la région de Lwow, creuset intellectuel et pluriculturel historique de la Pologne, en territoire ukrainien.
Lorsque Anders lui demanda alors le droit de retirer ses soldats du front, Churchill lui répondit violemment : « Vous pouvez retirer vos divisions ; nous nous en passerons… ». Mais les généraux alliés sur le front italien ne partageaient pas le même avis et exigèrent le maintien des troupes. La prise de Bologne en avril 1945 fut ainsi l’ultime bataille du corps polonais.
L’emprise communiste
Les troupes allemandes en Italie capitulèrent sans condition le 2 mai 1945, peu avant la reddition générale du régime nazi. Début juillet, les Alliés retirèrent leur reconnaissance aux autorités polonaises en exil et acceptèrent l’installation d’un gouvernement provisoire prosoviétique en Pologne.
Les Polonais exilés étaient évidemment affligés par le sacrifice de leur territoire et de leur démocratie. Seul un cinquième de ceux qui avaient trouvé un refuge provisoire en Afrique choisirent de rejoindre leur terre natale. La grande majorité préféra émigrer essentiellement aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Argentine, au Canada, en France et en Australie.
Le 26 septembre 1946, le gouvernement provisoire priva de leur nationalité polonaise le général Anders ainsi que les 75 généraux et officiers supérieurs qui avaient combattu pendant la guerre dans les forces armées polonaises occidentales puis refusé de rentrer en Pologne communiste.
Jusqu’à l’élection de Lech Walesa en 1990, le gouvernement polonais exil à Londres continua de représenter le dernier pouvoir élu démocratiquement en Pologne. Le général Anders en devint un membre éminent. Il écrivit ses mémoires de guerre et combattit jusqu’à la fin de sa vie pour la mémoire des faits et contre la désinformation soviétique.
Après la guerre, les corps de 1 072 soldats polonais furent rassemblés dans un cimetière militaire au mont Cassin. Selon son vœu, la dépouille du général Anders les rejoignit à sa mort en 1970. Après la chute du régime communiste en 1989, il retrouva sa citoyenneté polonaise et son rang militaire. Il fut également décoré à titre posthume, en 1995, de l’Ordre de l’Aigle blanc, la plus haute distinction de la République de Pologne.
Film « Katyn » par Andrzej Wajda | Bande-annonce officielle – YouTube
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Bibliographie:
. Znani Sybiracy: Władysław Anders. emazury.com (online, accès 15.10.2023)
. Polscy wygnańcy z okresu Drugiej Wojny Światowej. Gov.pl (accès 15.10.2023)