Dans son œuvre intitulée Les tailleurs de pierre, réalisée en 1849, Gustave Courbet (1819-1877) représentait deux hommes effectuant un travail physique intense. L’année suivante, la toile fut exposée au Salon de l’Académie, où elle provoqua l’indignation des spectateurs. Et la plupart des critiques mirent au pilori la banalité et la rugosité de la scène.
Les peintures de Courbet illustraient la vie des classes populaires de son époque avec une simplicité parfois poignante. Elles étaient dépourvues de l’idéalisation habituelle. Elles prenaient donc une connotation politique, provoquant la bourgeoisie, comme un J’accuse!
Réalisme
Elles donnèrent ainsi naissance au courant artistique appelé « réalisme ». Il brisa carrément les règles de la peinture académique.
D’abord, les thèmes évoluaient. A l’époque, les représentations de femmes aux formes parfaites et érotisées et les compositions romantiques pathétiques dominaient en effet la scène artistique. Les réalistes souhaitaient plutôt privilégier les sujets contemporains aux thèmes historiques. Ils préféraient aussi les illustrations simples de la vie quotidienne aux scènes riches en allégories.
Ensuite, l’approche de la lumière changeait. Autrefois artificielle et irréelle, elle était désormais fidèlement reproduite.
Devançant l’esprit de la photographie naturaliste, le réalisme ne fut pourtant pas un mimétisme; simple reflet fidèle de ce que voit l’œil de l’artiste. Il s’agissait davantage de transmettre une perception personnelle, celle d’un monde environnant dans lequel l’homme occupait une place centrale.
Chelmonski
Jozef Chelmonski (1849-1914) fut l’un des représentants polonais les plus remarquables du réalisme. Il exerça son talent dans la région de Varsovie, et aux frontières orientales de l’ancienne Union polono-lituanienne, qui font à présent partie du territoire ukrainien.
L’artiste s’intéressa surtout au monde rural. Il adorait ainsi mettre en scène des paysans sur fond de décors naturels, souvent des paysages ordinaires, un peu monotones. Alors que le réalisme de Courbet avait une dimension critique et était associé à un engagement sociopolitique, Jozef Chelmonski observait la vie paysanne en étant fasciné par sa simplicité et son harmonie avec la nature.
Rêve éphémère
Les images réalistes n’étaient pas nécessairement vides d’émotion, certainement pas pour Chelmonski. L’une de ses peintures les plus populaires est Été indien, une œuvre à la mélancolie slave.
La scène représente une jeune paysanne allongée dans un champ typique de la steppe ukrainienne, sur l’herbe séchée par le soleil de l’été. Ses vêtements en lin, simples et lumineux, contrastent avec le paysage environnant grisâtre. Elle est accompagnée d’un chien de berger noir qui observe paisiblement le troupeau de vaches brouter au loin. C’est la fin de l’après-midi, lorsque la chaleur de l’air n’est plus assommante et que l’on peut souffler après une journée de travail. Le ciel s’est assombri, comme s’il annonçait une tempête.
On perçoit les premières odeurs de l’automne à venir. A cette saison, en Europe centrale et orientale, de longs fils de toiles d’une variété d’araignée envahissent souvent le paysage, portés par le vent. En polonais, l’œuvre s’intitule d’ailleurs Babie Lato, le nom donné à ces filaments particuliers. La jeune fille attrape l’un d’entre eux au vol, comme s’il s’agissait d’un rêve. En cet instant où son esprit semble dériver, le monde se fige. Il n’y a que ce moment et rien de plus. Vous rappelez-vous de ce sentiment?
Succès pérenne
Jozef Chelmonski n’avait que 26 ans quand il réalisa cette toile dans le modeste atelier qu’il partageait alors avec des amis dans un hôtel de Varsovie. Exposée pour la première fois à la galerie Zacheta, elle fit scandale. Comment un public élégant pourrait-il apprécier les états d’âme d’une paysanne allongée les pieds nus dans un champ aride? La critique fut impitoyable. Peut-être ne s’agissait-il pas seulement d’esthétisme, mais aussi d’un inconfort viscéral à la vue de la pauvreté.
L’année suivante, l’artiste décida donc de tenter sa chance à Paris, où le public avait déjà accepté la peinture de Gustave Courbet. L’impressionnisme y régnait à l’époque, et dans ce contexte, l’exotisme slave des peintures du jeune Polonais suscita immédiatement un grand intérêt.
Malgré, ou grâce à, son succès artistique et financier en France, Chelmonski resta fidèle à ses sujets de prédilection. Il aimait par dessus tout le folklore rural, les chevaux, son paysage natal et ses plaines enneigées. Après douze années dans la capitale française, il retourna au pays. Il y acheta un manoir en acajou entouré de champs et de forêts pour y passer le reste de sa vie.
En Pologne, Été indien commença à bénéficier d’opinions positives longtemps après sa création. Achetée par un collectionneur privé réputé en 1889, la toile fut acquise trente-cinq ans plus tard par le Musée National de Varsovie. Souvent décrite comme un manifeste du réalisme polonais, cette peinture est aujourd’hui l’une des plus populaires de la collection du musée.
Bibliographie:
. „Babie lato” Józefa Chełmońskiego (online), (accès 10.07.2020) Wolontariat.mnw.art.pl.
. Magdalena Wróblewska: Józef Chełmoński « Babie lato » (online), (accès 10.07.2020) Culture.pl.