Moine cistercien au tournant du Moyen-Âge et de la Renaissance, Stanislaw Samostrzelnik (vers 1480-1541) fut un illustre enlumineur de manuscrits polonais. Les miniatures de ses livres de prières pour les plus éminents personnages politiques et religieux de l’Union de Pologne-Lituanie comptent aujourd’hui parmi les chefs-d’œuvres conservés par de prestigieuses bibliothèques européennes.
Le peintre de Mogila
Samostrzelnik vit le jour vers 1480 dans une famille bourgeoise de Cracovie, dont le patronyme faisait référence aux fabricants d’arcs et arbalètes. Le jeune Stanislaw rejoignit le puissant monastère cistercien de Mogila (« Abbatia Clara Tumba » en latin), à proximité de la capitale du Royaume de Pologne. Il y apprit l’art de l’enluminure et sa qualité de peintre y fut mentionnée dans des archives dès 1506. Il côtoya aussi la très active guilde des peintres d’autels et miniaturistes de Cracovie. Ses premiers travaux s’inscrivirent donc logiquement dans la tradition gothique tardive de cette école.
La prospère abbaye de Mogila, fondée vers 1230, était intimement liée à la cour royale installée au château de Wawel, à moins de dix kilomètres. En 1511, Samostrzelnik obtint le droit de vivre hors du monastère en devenant l’aumônier du magnat Krzysztof Szydlowiecki (1466-1532), alors châtelain de Sandomierz. En 1515, il accompagna celui-ci, désormais grand chancelier de la Couronne de Pologne, au Congrès des trois souverains à Vienne. Il eut ainsi l’occasion d’y rencontrer Albrecht Dürer, le célèbre graveur et dessinateur allemand, lui-même invité par l’empereur Maximilien à illustrer l’évènement.
Stanislaus Claratumbensis
D’autres voyages avec Szydlowiecki lui permirent d’approfondir le graphisme de l’école du Danube, ainsi que les motifs hollandais. Chaque miniature de Samostrzelnik devint un ensemble très structuré, combinant une scène figurative à plusieurs plans et un ornement végétal. L’artiste prenait soin de ne pas idéaliser les personnages, leur donnant des traits plutôt naturels et les revêtant d’habits contemporains. Il ne visita certainement jamais l’Italie et sa palette resta de fait très cracovienne, avec des couleurs vives et contrastées. Pour autant, sa technique d’exécution se rapprocha très tôt de celle d’un peintre de la Renaissance.
Vers 1515, Samostrzelnik contribua ainsi à l’illustration du missel de Erazm Ciolek (1474-1522), évêque et diplomate, mécène et collectionneur.
Le succès venant, comme Dürer, Samostrzelnik se mit à signer certaines miniatures par ses initiales : SC, pour Stanislaus Claratumbensis ou Stanislaus Cracoviensis. Il commença vers 1525 à fournir ses services à la cour royale, ce qui décupla sa notoriété.
Afin de répondre à la demande, il fonda un important atelier à Cracovie et s’entoura de multiples assistants. Le maître pouvait ainsi sous-traiter enluminures et ornements pour se consacrer aux seules miniatures. Toutefois, en raison de retards dans l’exécution des commandes, Samostrzelnik fut souvent traduit en justice. De nature impulsive, il accumula aussi les procès pour insultes.
L’artiste se représenta symboliquement en bouffon du roi Sigismond l’Ancien au premier plan d’une miniature du Liber Genesos Familiae Shidlovice, commandé par le chancelier Szydlowiecki vers la fin de sa vie pour honorer l’histoire de son illustre famille.
Livres d’heures
Apparus deux siècles plus tôt, les livres d’heures connurent leur apogée vers la fin du 15e siècle à travers l’Europe. Livres liturgiques destinés aux catholiques laïcs, ils rassemblaient initialement des prières liées aux huit heures dites canoniales du jour, comme les vigiles, les laudes ou les vêpres. Ils s’enrichirent ensuite d’autres parties, généralement un ensemble de prières dédiées à Marie, des psaumes pénitentiels et un office des morts.
Le cardinal Henri Stuart hérita du livre de prière du roi Sigismond l’Ancien par sa mère, née princesse Sobieska. Conservé depuis 1844 à la British Library de Londres, il contient trois miniatures pleine page de style classique de l’école de Cracovie.
La bibliothèque Bodléienne de l’Université d’Oxford abrite un autre chef d’œuvre de Samostrzelnik, acquis au début du 19e siècle par le collectionneur Francis Douce. Riche de quinze miniatures pleine page, le livre d’heures de la reine Bona Sforza fut réalisé entre 1521 et 1528 sur commande de son époux, Sigismond l’Ancien.
Il débute par un calendrier zodiacal permettant d’identifier bons et mauvais jours pour des activités spécifiques, comme prendre un bain ou se laver les cheveux, pratiquer une saignée ou boire un remède. Une autre particularité est une représentation du purgatoire, rare dans les livres d’heures de l’époque.
Samostrzelnik créa seize autres miniatures pour le livre d’heures de Olbracht Gasztold (en lituanien : Albertas Goštautas, vers 1470-1539), richissime magnat et grand chancelier de Lituanie.
L’évêque Tomicki
Le monastère franciscain de Cracovie abrite l’unique peinture sur panneau connue de Samostrzelnik. Elle représente l’évêque Piotr Tomicki (1464-1535). Ce personnage important cumula les attributs religieux d’évêque de Cracovie et nonce apostolique, avec la fonction politique de vice-chancelier de la Couronne. Grand amateur d’art de la Renaissance et mécène, il possédait la plus impressionnante collection de sculptures italiennes du royaume.
Pour illustrer deux catalogues bibliographiques, il commanda entre 1530 et 1535 à Samostrzelnik plus de quarante portraits miniatures des archevêques de Gniezno et des évêques de Cracovie, les plus importants hiérarques de l’Église polonaise. Le moine s’attacha à les peindre luxueusement.
Samostrzelnik représenta notamment Stanislas, Saint Patron de la Pologne, mort en 1079. A ses côtés, deux anges portent, l’un la palme symbole du martyre, l’autre la bannière royale à l’aigle blanc. A ses pieds, un petit personnage barbu représente le chevalier Piotr, dont la légende attribue la miraculeuse résurrection à Stanislas. Le Saint Patron bénit l’actuel roi Sigismond l’Ancien (1467-1548). Face à lui, l’évêque Tomicki porte une tenue similaire à celle de Saint Stanislas et se présente ainsi comme son héritier.
Tomicki lui commanda également un portrait en tenue épiscopale. L’artiste présente le personnage avec des traits réalistes et une posture assez moderne pour l’époque. Les anges, ainsi que les décors de feuilles et de rangée de boules sur les colonnes suggèrent aussi l’influence de la Renaissance. A l’inverse, l’absence de perspective avec, en arrière-plan, un rideau et un fond doré, ainsi que les plis marqués de l’aube sur les pieds de l’évêque rappellent la tradition gothique du Moyen-Âge.
Retour à l’abbaye
En 1534, atteint par la maladie, l’évêque de Cracovie demanda à l’artiste, selon une coutume italienne, de réaliser des reproductions en cire polychrome de son portrait afin de les faire déposer en ex-voto dans les sanctuaires les plus importants du royaume.
Trois ans seulement après celle de Krzysztof Szydlowiecki, la disparition en 1535 de Piotr Tomicki sonna le glas de l’œuvre de Samostrzelnik. Le peintre avait perdu ses deux éminents protecteurs. A cette époque, l’imprimerie et la gravure sur bois avaient déjà massivement remplacé la coûteuse enluminure à la main, désormais réservée à une demande élitiste et nostalgique. Le nouvel évêque laissa même inachevée l’illustration du catalogue des évêques de Cracovie. En l’absence de nouveau mécène, le moine se retira à l’abbaye franciscaine de Mogila. Il put ainsi consacrer trois années à la supervision artistique des peintures murales du monastère, qui se trouvait alors en pleine rénovation dans l’esprit de la Renaissance.
Une fois cette dernière mission achevée, il semble que Samostrzelnik arrêta toute activité artistique en 1538. Il s’éteignit à Mogila en 1541, vers l’âge de soixante ans.
Des archives indiquent qu’il aurait aussi été l’auteur de peintures de chevalet, même si aucune ne put lui être attribuée. De nombreux livres et documents enluminés, parfois répertoriés, disparurent. Ainsi, hormis les fresques polychromes, partiellement signées, du monastère de Mogila, seuls sept manuscrits enluminés signés subsistent à ce jour, heureusement précieusement conservés dans certaines des plus grandes bibliothèques européennes.
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Bibliographie:
. Grażyna Jurkowlaniec: Stanisław Samostrzelnik, Mars 2002 (online, accès 09.05.2023) Culture.pl.
. Jakub Jagiełło: Stanisław Samostrzelnik, « Portret biskupa Piotra Tomickiego », Novembre 2010 (online, accès 09.05.2023) Culture.pl.
. Marcin Starzyński: Humanism, painting and patronage at Mogiła abbey. Citeaux, 2014 (online, accès 09.05.2023) Academia.eu.
. Barbara Miodońska: Miniatures de Stanisław Samostrzelnik. Varsovie, 1983.