Icône du cinéma muet des années 1920, Pola Negri compte parmi les plus célèbres actrices polonaises. Femme fatale à l’écran et dans la vie, elle devint l’une des plus riches de Hollywood grâce à un contrat mirobolant avec le studio américain Paramount.
La future étoile naquit en 1897 sous le nom de Barbara Apolonia Chalupiec, à Lipno, un village situé 170 km à l’ouest de Varsovie. Sa mère était polonaise de souche, son père d’origine rom slovaque. Elle hérita de celui-ci ses cheveux couleur ébène, ses yeux noirs et son regard à l’hypnotique pugnacité.
Alors qu’elle avait trois ans, son père fut arrêté et exilé en Sibérie par les autorités russes pour sa participation à un groupe indépendantiste polonais. Pour subvenir aux besoins de la famille démunie, sa mère décida alors de rejoindre la capitale. Décelant le talent de Pola (diminutif de Apolonia), elle l’inscrivit à l’Académie Impériale de Ballet de Varsovie.
Malheureusement, la tuberculose envoya la jeune fille en sanatorium. C’est là que la précoce artiste choisit le pseudonyme Pola Negri, en référence à Ada Negri, une poétesse italienne qu’elle appréciait particulièrement. Après sa convalescence, devant renoncer à une carrière de ballerine, Pola fut admise au Conservatoire d’Art Dramatique de Varsovie.
Fin 1912, l’adolescente fit ainsi ses débuts sur les planches de théâtre. Elle rencontra un certain succès mais sa voix grave n’enthousiasmait pas tous les critiques. Elle se tourna alors vers le cinéma muet où elle fit une première apparition remarquée en 1914 dans le mélodrame Niewolnica zmyslow (Esclave de ses sens) de Jan Pawlowski.
La reconnaissance
Le producteur-réalisateur Aleksander Hertz (1879-1928), considéré comme le père de l’industrie du cinéma polonais, la choisit ensuite pour plusieurs films, dont le dernier, Bestia (La Bête, 1917), contribua à l’exposition outre-Atlantique de Pola Negri après la Grande Guerre. Il fut en effet distribué aux États-Unis en 1921 par un avocat new-yorkais qui lui trouva un titre plus vendeur, The Polish Dancer (La Danseuse Polonaise). Et, tandis que les copies polonaises furent perdues pendant la guerre, un exemplaire fut préservé grâce au Musée d’Art Moderne de New York, en faisant le plus ancien film de Pola Negri visible aujourd’hui.
Après la prise de Varsovie aux Russes par les Allemands en 1915, les films polonais commencèrent à être projetés sur le marché germanique. Pola Negri y reçut un accueil médiatique très favorable et déménagea à Berlin fin 1917, à l’invitation du metteur en scène Max Reinhardt.
Le jeune acteur-réalisateur Ernst Lubitsch (1892-1947) la découvrit ainsi et lui offrit plusieurs premiers rôles, dont le rôle-titre de Madame du Barry (1919). Projeté aux États-Unis à partir de décembre 1920 sous le titre Passion, ce film connut un succès mondial considérable et propulsa la carrière du réalisateur et de son actrice préférée.
L’étoile hollywoodienne
La concurrence de Berlin menaçant l’hégémonie de Hollywood, les grands studios américains décidèrent de réagir en en recrutant les éléments les plus prometteurs. C’est ainsi que Paramount offrit des contrats extrêmement lucratifs à Ernst Lubitsch et Pola Negri.
En septembre 1922, à l’âge de 25 ans, Pola partit donc s’installer aux États-Unis, après avoir divorcé du comte Eugeniusz Dambski, qu’elle avait épousé trois ans plus tôt. Le studio américain lui offrit un premier rôle marquant de femme fatale dans le mélodrame romantique Bella Donna (1923), puis celui d’une ensorcelante danseuse gypsy dans The Spanish Dancer (1923), adaptation de Ruy Blas de Victor Hugo.
L’actrice appréhenda rapidement les rouages de cette industrie de la gloire. Elle comprit comment y faire fructifier sa sensualité exotique. Tête d’affiche de plus de vingt films du cinéma muet américain, elle devint en quelques années l’une des femmes les plus riches de Hollywood. Elle se fit construire une superbe propriété à Beverly Hills, dotée bien sûr d’une salle de projection privée au sous-sol.
Ses romances successives, supposée avec Charlie Chaplin, puis officielle avec Rudolph Valentino jusqu’à la disparition brutale de celui-ci en 1926, accentuèrent encore sa notoriété.
Mais la fin des années 1920 vit l’avènement du cinéma parlant. Sa voix grave et son accent étranger ne séduisant pas les producteurs, Pola décida en 1928 de ne pas renouveler son contrat avec Paramount et de rentrer en Europe.
La roue tourne
L’actrice choisit alors de s’installer en France où, l’année précédente, elle avait fait l’acquisition du château de Rueil Seraincourt (Val d’Oise). Cette même année 1927, elle y avait épousé en seconde noces le prince géorgien Serge Mdivani. Les plus grandes stars du cinéma muet américain furent de l’évènement : Charles Chaplin, Douglas Fairbanks, May Pickford.
Mais la roue de la fortune sembla alors tourner. En partie ruinée par la crise financière de 1929 et un mari flambeur, victime d’une fausse couche, Pola tomba dans une profonde dépression. Elle revendit son vaste domaine du Vexin et divorça pour la une seconde fois en 1931.
Sa mère l’encouragea à relancer sa carrière cinématographique. C’est ainsi que, continuant de vivre en France, l’actrice tourna dans une petite dizaine de films parlants, principalement allemands, dans les années 1930.
Les réalisateurs français Tony Lekain et Gaston Ravel lui offrirent aussi le premier rôle de Fanatisme (1934), un drame historique où Pola eut l’occasion unique de chanter en français.
Goebbels finit par faire pression sur l’actrice pour qu’elle joue dans des films de propagande nazie, ce qu’elle refusa. Fuyant la guerre, Pola Negri rejoignit définitivement les États-Unis où elle fut naturalisée en 1951.
L’étoile du cinéma muet fit une tentative de retour sur les écrans américains dans la comédie Hi Diddle Diddle (1943) avant de prendre sa retraite. Vingt ans plus tard, Walt Disney la convainquit de faire une dernière apparition dans La Baie aux Emeraudes (The Moon-Spinners, 1964).
Pola rédigea de croustillantes Mémoires d’une Star (1970). Elle s’éteignit en 1987 à l’âge de 90 ans à San Antonio au Texas.
Le portrait d’une légende
En 1923, le peintre Tadeusz (« Tade ») Styka (1889-1954) immortalisa un célèbre portrait de l’actrice au sommet de sa gloire. Souriante, Pola nous regarde d’un air effronté. La pose suggère une femme libérée et épanouie, partiellement vêtue d’un luxueux manteau de fourrure et d’un long collier de perles. Un turban doré ceignant ses cheveux courts complète l’image de l’icône des années 1920.
Tadeusz Styka naquit en 1889 à Kielce, au sud-est de la Pologne. Son père Jan et son frère Adam étaient également peintres.
Il étudia à Académie des Beaux-Arts de Paris, où ses parents résidaient alors. Puis il ouvrit son propre atelier dans la capitale française. Tadeusz voyageait souvent aux États-Unis, où il fréquentait les milieux artistiques. C’est à l’occasion d’un de ces voyages qu’il rencontra Pola Negri et lui proposa de réaliser son portrait. En 1929, il s’installa à demeure à New York et ouvrit un nouvel atelier à Manhattan.
Il devint un prospère portraitiste d’artistes célèbres comme le dramaturge belge Maurice Maeterlinck, les chanteurs d’opéra Enrico Caruso, Feodor Chaliapin, Tito Ruffo, ainsi que de personnalités politiques comme Sarah Delano Roosevelt, la mère du président Franklin Roosevelt, le président Harry Truman ou le pianiste et homme politique polonais Ignacy Paderewski. Nombre de ces portraits ornent aujourd’hui les galeries d’art américaines. Mais aucun n’éclipsera le souvenir de celui de Pola Negri dans le cœur de Tade Styka.
Films avec Pola Negri:
. Bestia (1917) | Aleksander Hertz – YouTube (Version originaire restaurée)
. A Woman Commands (1932) | Chanson – YouTube
. Tango Notturno (1937) | Chanson – YouTube
Bibliographie:
. Julia Właszczuk: Pola Negri powraca na ekrany (online, accès 07.10.2021) Vogue.pl.
. Konrad J. Zarębski: Pola Negri (online, accès 07.10.2021) Culture.pl.