Le trait épais et l’expressivité des couleurs signent l’ambiance plastique des compositions du peintre paysagiste Jan Stanislawski. Avec le temps, sa création s’épura pour mieux refléter l’âme de la nature, s’enracinant dans une fascination pour la lumière puis les courbes de l’Art nouveau. Grand pédagogue, Jan Stanislawski compte parmi les artistes les plus influents de Jeune Pologne, le mouvement moderniste qui fleurit à Cracovie à la fin du 19e siècle.
Jan Stanislawski (1860-1907) vit le jour dans un petit village sur le fleuve Dniepr, situé aujourd’hui en Ukraine. Issu d’une famille de l’intelligentsia polonaise, fils d’un avocat passionné de poésie, il étudia d’abord les mathématiques, envisageant de devenir professeur. Doutant de sa motivation à poursuivre dans cette voie, il entreprit alors une formation artistique à l’école varsovienne de Wojciech Gerson (1831-1901), célèbre paysagiste polonais. Ce fut le déclic. Jan partit poursuivre ses études à l’École des Beaux-Arts de Cracovie, avant de se rendre en 1885 à Paris compléter sa formation auprès du portraitiste Carolus-Durand (1837-1917). Il resta pendant douze ans dans la capitale française. Stanislawski s’y lia d’amitié avec Jozef Chelmonski (1849-1914), un autre ancien élève de Gerson, Grand Prix de l’exposition universelle de 1889, qui travaillait alors au Monde Illustré. Il se rapprocha également de Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898), précurseur du symbolisme.
L’influence impressionniste
Stanislawski y découvrit aussi l’impressionnisme. Il passa ainsi d’une reproduction réaliste de la nature, telle que Gerson lui avait enseignée, à une interprétation subjective, au sens impressionniste du terme. Cependant, il préféra en ignorer la forme divisionniste, la « virgule de couleur », pour se concentrer sur l’atmosphère et le lyrisme.
Pendant sa période parisienne, Jan voyagea aussi intensément à travers l’Europe, croquant les paysages dans ses carnets de dessin. De cette époque, Ruches en Ukraine illustre parfaitement sa fascination pour les effets de lumière. Elle compte aujourd’hui parmi ses peintures les plus connues.
Le maître paysagiste
Il s’agissait aussi alors des grandes années des peintures panoramiques. En 1895, Stanislawski put ainsi contribuer aux paysages de L’armée française vaincue, traversant la Bérézina, réalisée à Berlin sous la direction de Wojciech Kossak (1856-1942) et de Julian Fałat (1853-1929). L’année suivante, il partit à Lwow collaborer au panorama Golgotha de Jan Styka (1858-1925).
En 1897, le peintre retourna à Cracovie y diriger le Département Paysages de l’École des Beaux-Arts. La même année, Stanislawski co-fonda Sztuka, Société des Artistes Polonais, dont le but était de promouvoir la culture polonaise. La Pologne ayant perdu son indépendance en 1795, la filiation polonaise des artistes était en effet ignorée lorsqu’ils participaient à des expositions à l’étranger. La plupart des élèves de Stanislawski adhérèrent à Sztuka dès leurs débuts et en demeurèrent ainsi les représentants même après la liberté retrouvée en 1918.
La tendance expressionniste
Avec l’expérience, l’œuvre de Stanislawski gagnait en dynamisme expressionniste. Son coup de pinceau devenait plus vif. Ses couleurs s’éloignaient de la réalité pour mieux rendre les jeux d’ombre et de lumière. Sa peinture se mit à refléter une simplicité attachante et une dramaturgie discrète. Présences humaines et animales disparurent pour laisser place à la végétation et aux éléments naturels.
Les paysages de Jan Stanislawski expriment aussi le mouvement. Sa sensibilité à la fugacité de l’instant et à l’impermanence de la nature est remarquable. Les ombres des nuages ou des arbres paraissent rouler au sol. L’air semble trembler sous l’effet de la chaleur estivale ou du vent d’automne.
La période symboliste
Le mouvement Sécession (Art Nouveau polonais) qui prévaut au tournant des 19e et 20e siècles donne un caractère plus décoratif aux paysages. Le grand format intitulé Peupliers au bord de l’eau en est un parfait exemple.
L’année 1900 marque le début de la période symboliste de Jan Stanislawski. Dans un fragment de nature, il perçoit le cosmos. Son art atteint alors sa pleine maturité. Les formes sont synthétiques. Quelques éléments résument le paysage. Des taches de couleur saisissent la lumière. Le pinceau rapide et spontané capte l’âme des lieux.
La Bohème cracovienne
Cracovie était un lieu de contradictions. De nombreuses fêtes patriotiques et religieuses y rappelaient les traditions. En même temps, une bohème artistique polonaise très active y brisait les tabous sociaux.
De nombreux cafés permettaient à ses habitants d’y passer du temps pour discuter, jouer ou lire les journaux. Ferdynand Turlinski décida de créer le Paon, premier café artistique de la ville. Situé au 38 de la rue Szpitalna, l’établissement comportait un restaurant au premier étage et un café avec une table de billard au rez-de-chaussée. Jan Stanislawski y fonda un groupe artistique auquel il donna le nom du café. A l’initiative de Turlinski, une toile de six mètres de long fut accrochée au mur, pour permettre à ses visiteurs talentueux de croquer comme sur un livre d’or.
Après la disparition du café Paon, la bohème artistique trouva un nouveau quartier général à la confiserie Jama Michalikowa de Jan Apolinary Michalik. Stanislawski en était un invité assidu. Il participa également à la création de Zielony Balonik, célèbre cabaret de Cracovie.
Un pédagogue charismatique
Stanislawski s’avéra un parfait gestionnaire du département Paysages de l’École des Beaux-Arts, devenue Académie en 1906. Mais il était surtout un grand pédagogue, qui fascinait ses étudiants. Cette forte influence du professeur est justement exprimée par une caricature de Kazimierz Sichulski. Elle présente le maître, connu pour sa forte corpulence, dominant ses élèves tel une montagne.
Jusqu’à sa mort subite en janvier 1907, ses classes furent très populaires. Pendant ses dix ans d’enseignement, soixante-dix-sept étudiants fréquentèrent ainsi assidument l’atelier de Stanislawski.
Deux d’entre eux poursuivirent leurs carrières en France où ils évoluèrent vers le cubisme. Tadeusz (Tadé) Makowski (1882-1932) fréquenta le groupe des peintres cubistes de Montparnasse. Ludwik Markus, à qui Apollinaire recommanda de franciser le nom en Louis Marcoussis (1878-1941), s’imposa quant à lui comme un graveur et un illustrateur de premier plan.
Jan Stanisławski avait introduit à l’École des Beaux-Arts de Cracovie une méthode d’enseignement révolutionnaire pour l’époque. Il organisait en effet des cours en plein air, qu’il rendit même obligatoires. Ses élèves posèrent ainsi leurs chevalets d’abord dans la campagne environnant Cracovie, puis au pied des montagnes Tatras.
Stanislawski aimait la campagne; sa nature mais aussi son folklore et son architecture. Il regardait les changements avec une dose de nostalgie. Il disait: « Peignez la campagne polonaise, messieurs, car dans quelques années elle ne sera plus là ».
Les paysagistes de la Petite Pologne
Parmi ses étudiants restés adeptes de la peinture paysagère, Henryk Szczyglinski (1881-1944), Stefan Filipkiewicz (1879-1944), et Stanislaw Kamocki (1875-1944) figurent parmi les meilleurs représentants du mouvement moderniste Jeune Pologne.
Stanisław Kamocki est considéré comme l’un des plus fidèles continuateurs de l’œuvre de Stanislawski, avec ses formes expressives, ses cadrages atypiques et ses couleurs saturées. Il reprit en 1919 la direction du Département Paysages de l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie. Il y enseigna jusqu’en 1940, reprenant les méthodes de son maître et organisant des cours en plein air.
L’école de Stanislawski n’eut pas d’équivalent dans la vie artistique européenne de cette époque. Le peintre souhaitait avant tout inculquer à ses élèves l’art d’une composition pure et dynamique qui saisisse non seulement la plastique mais aussi l’essence métaphysique des paysages naturels.
Jan Stanislawski excellait dans la synthèse des formes, considérant son œuvre comme une fenêtre sur un univers plus vaste. Adepte des formats réduits, il fut parfois appelé « le grand peintre des petits tableaux ». Le maître et ses élèves marquèrent sans aucun doute l’école polonaise du paysage.
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Bibliographie:
. Beata Lewińska-Gwóźdź: Szkoła Jana Stanisławskiego (1860-1907): fenomen pedagogiczny i artystyczny. Saeculum Christianum: pismo historyczno-społeczne 20, 157-171, 2013.
. Irena Kossowska: Jan Stanisławski (online, access 12.08.2021) Culture.pl.