La fin du 17e siècle marqua le début du lent déclin de la République des Deux Nations, république aristocratique confédérale rassemblant le Royaume de Pologne et le Grand-Duché de Lituanie. Après la mort en 1696 du dernier grand monarque Jean III Sobieski, le trône électif de Pologne devint l’objet de jeux de pouvoirs entre des souverains étrangers qui ne portaient pas grand intérêt à la culture nationale. Dans ce contexte, ce sont de riches représentants de la noblesse et du clergé qui s’attelèrent à promouvoir des artistes polonais. Deux peintres acquirent ainsi une reconnaissance internationale: Szymon Czechowicz et Tadeusz Kuntze.
Szymon Czechowicz (1686 – 1775) naquit à Cracovie dans une famille d’orfèvres. Grâce à la protection de Franciszek Maksymilian Ossolinski, aristocrate et homme politique, il fut admis à l’Académie Saint-Luc de Rome en 1711. C’est ainsi que les archives de l’Académie conservent aujourd’hui deux de ses dessins primés. L’un représente une marche triomphale après une bataille victorieuse, l’autre le combat de Samson avec un lion. Czechowicz gagna alors expérience et reconnaissance en peignant des œuvres pour des églises non seulement italiennes, mais aussi polonaises tandis qu’il résidait toujours à Rome.
L’école romaine de Czechowicz
Il faut dire que l’art sacré romain était une référence incontournable pour l’église catholique polonaise. En 1731, Czechowicz décida enfin de rentrer en Pologne pour devenir peintre officiel de la cour du roi élu Auguste II le Fort, prince-électeur de Saxe. Renommé pour ses peintures religieuses et ses portraits, il acquit rapidement de nombreux riches clients, comme le Grand Trésorier de la Couronne et l’Archevêque de Cracovie. Ses toiles se trouvent dès lors dans la plupart des cathédrales de la vaste République des Deux Nations, de Vilnius à Lvov en passant par Varsovie et Kielce. Et presque toutes les églises de Cracovie abritent des œuvres de Szymon Czechowicz.
Représentant exceptionnel de l’académisme romain dans l’art sacré baroque, Czechowicz était fidèle aux principes de la tradition du 18e siècle, tels que l’exactitude du dessin, les couleurs vénitiennes et la composition. Et il était adepte et expert du baroque romain représenté par Carl Maratta, Benedetto Luti et Sebastiano Conca.
Czechowicz dirigeait également sa propre école de peinture, où des cours étaient donnés gratuitement. Franciszek Smuglewicz, Jan Bogumil Plersch ou Tadeusz Kuntze-Konicz comptèrent ainsi parmi ses élèves. Décédé en 1775, Szymon Czechowicz repose dans la crypte de l’église des capucins de Varsovie.
L’école napolitaine de Kuntze
Tadeusz Kuntze (1733 – 1793), connu aussi sous le patronyme de Konicz, naquit à Grünberg, aujourd’hui Zielona Gora, en Basse Silésie. Il se fit engager comme apprenti cuisinier auprès de Andrzej Zaluski, évêque de Cracovie. Mais celui-ci décela son talent de peintre et l’envoya étudier à Rome. Kuntze se forma ainsi à l’Académie Française où il fut l’élève de Ludovico Mazzanti entre 1747 et 1752. Il développa aussi son talent à la Scuola Libera del Nudo de l’Académie Saint-Luc.
Alors que Czechowicz suivit l’école romaine, Kuntze s’inspira lui de l’école napolitaine. Son art religieux s’inscrit en effet dans la tradition de Francesco Solimena, le peintre baroque napolitain le plus célèbre de Rome et son élève Corrado Giaquinto. Pour ce style baroque tardif, la composition à plusieurs sujets est subordonnée à un personnage central principal. L’expression des personnages est aussi plus dramatique.
Connu en Italie sous le nom de Taddeo Pollacco, Tadeusz Kuntze y passa l’essentiel de sa vie. Même s’il se rendit régulièrement en Pologne, voyagea en France et résida plusieurs années en Espagne, il resta au service de la cour du cardinal Enrico Benedetto Stuart et de riches aristocrates italiens comme les princes Borghese.
Selon certaines sources, Kuntze aurait fréquenté Goya lors de son séjour en Espagne, mais il n’en n’existe aucune preuve. Peu d’information est d’ailleurs parvenue jusqu’à nous. On sait seulement que son fils Pietro fit une carrière de peintre en Espagne sous le nom de Pedro Kunz y Valentini, et que sa fille Elisabetta épousa l’artiste espagnol Jose Madrazo et vécut à Madrid.
À la demande de son protecteur Zaluski, Kuntze peignit à Rome en 1754 deux imposants tableaux pour la cathédrale du Wawel à Cracovie: Martyr de Saint Wojciech et Saint Kazimierz. Ces toiles sont toujours exposées dans la sacristie de la cathédrale.
La bibliothèque Zaluski
Tadeusz Kuntze créa également deux représentations allégoriques majeures, Fortune et Art, qui se trouvent au Musée National de Varsovie depuis la fin de la Première Guerre mondiale. À l’origine, ces œuvres étaient destinées à la décoration de la fameuse Bibliothèque fondée par les frères Zaluski à Varsovie en 1747. La mort de l’évêque Zaluski en 1756 en stoppa malheureusement le développement, qui devait comprendre l’ajout d’une université.
La bibliothèque Zaluski fut néanmoins la plus grande bibliothèque européenne du 18e siècle. Elle contenait en effet 400 000 volumes, 20 000 manuscrits et 40 000 gravures. Elle comprenait également des collections d’histoire naturelle, monnaies et médailles, cartes, instruments scientifiques, dessins, portraits, peintures et sculptures. Une Bibliothèque nationale était essentielle pour le développement des mouvements intellectuels. Après la chute du soulèvement de Kosciuszko en 1794, la bibliothèque Zaluski fut confisquée et transférée à Saint-Pétersbourg sur ordre personnel de la tsarine Catherine II. En 1814, la Bibliothèque publique impériale fut ainsi fondée sur la base des collections polonaises. Celles-ci furent partiellement restituées entre 1921 et 1934 en vertu du Traité de Riga.
Ars longa, vita brevis
Fortune et Art sont une parfaite illustration de l’aphorisme énoncé par Hippocrate: Ars longa, vita brevis (L’art est long, la vie est brève). Leur spécificité est de combiner des thèmes mythologiques et des références contemporaines et de se répondre de manière indissociable. La Fortune représente les effets désastreux pour la vie de la recherche de biens matériels et de pouvoirs. Tandis que l’Art s’y oppose comme un champ de connaissances créant du lien entre les gens, en harmonie avec le monde.
Kuntze utilise à cet effet l’iconographie typique du baroque. Il place ainsi la figure féminine de la Fortune sur une sphère tournante, image de la vanité de ce monde. Elle distribue aveuglément des symboles de pouvoir alors que le chaos règne autour d’elle. Les mortels se battent en effet pour les obtenir. Ainsi, sur la droite, un jeune homme en veste rouge représentant la Colère bouscule une femme affublée d’oreilles d’âne figurant l’Ignorance. À gauche, la Vertu en armure, semble quant à elle accepter sa défaite, en pleurs.
Le remède réside en fait dans le deuxième tableau. L’allégorie féminisée de l’Art trône et remet une coupe remplie de connaissance à un jeune homme. L’élixir provient d’un pichet donné par une femme avec des ailes de chauve-souris. Elle incarne Concetto, un concept, c’est-à-dire une idée liée à la science ou au génie artistique.
La mort de Priam
Tadeusz Kuntze peignit La mort de Priam en 1756. L’action de ce thème classique se déroule à Troie sur la terrasse du palais royal. Neoptolemos, fils d’Achille, tombé pendant le siège de Troie, frappé par la flèche du prince troyen Paris, venge la mort de son père en tuant le roi Priam. L’arrière-plan présente la lueur de Troie en feu.
Jusqu’en 2012, ce tableau faisait partie d’une collection privée italienne. Retrouvée par un antiquaire du Salon de l’art Connaisseur à Cracovie, la peinture fut achetée par le Château Royal de Wawel, avec le soutien du ministère de la Culture et du Patrimoine national. Les historiens de l’art estiment qu’il s’agit de l’une des plus belles œuvres profanes de Kuntze se trouvant parmi les collections polonaises.
L’artiste s’éteignit paisiblement à Rome en 1793.
Bibliographie:
. Monika Ochnio: Szymon Czechowicz. Culture.pl
. Michał Dębowski: Rysunki Szymona Czechowicza. Cennebezcenne.pl
. Monika Ochnio: Tadeusz Kuntze. Culture.pl
. Warszawa 1747 – 1795, Biblioteka Załuskich. Muzeumpamieci.umk.pl
. Tadeusz Kuntze, Fortuna i Sztuka. Fbc.pionier.net.pl