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Culture,  Sculpture

Mitoraj, retour aux antiques

Dans de nombreuses grandes villes européennes, nord-américaines et japonaises, les passants sont intrigués par des statues monumentales représentant des fragments de corps antiques. L’une des plus populaires se trouve sur la Place du Marché central de Cracovie. L’auteur de ces œuvres, Igor Mitoraj (1944-2014), compte parmi les sculpteurs les plus renommés de la période contemporaine.

Zofia, la mère d’Igor, était originaire d’un petit village à une trentaine à l’ouest de Cracovie. Pendant la Seconde Guerre mondiale, comme des millions de Polonais, elle fut envoyée aux travaux forcés en Allemagne. Elle avait 20 ans. Dans un camp de prisonniers de guerre situé près de Dresde, elle rencontra Georges, un officier français de la Légion Etrangère. Igor naquit de cette union le 26 mars 1944. Après la guerre, Zofia retourna en Pologne avec son fils, tandis que Georges rentra en France. Ils ne se revirent jamais.

Kantor, le maître décisif

Zofia dut s’occuper seule d’un petit enfant dans la précarité de l’après-guerre, avant d’épouser Czeslaw Mitoraj en 1948. Le couple eut cinq autres enfants. L’artiste raconta plus tard que toute son enfance fut marquée par l’espoir que son père naturel se présente un jour chez eux.

Adolescent, Igor s’inscrivit dans une École de dessin à Bielsko-Biala. Il poursuivit son apprentissage à l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie à partir de 1963.

Il étudia notamment sous la direction de Tadeusz Kantor (1915-1990), peintre, écrivain et metteur en scène, qui abordait souvent des thèmes existentiels dans sa création. Kantor exhorta le jeune Mitoraj à partir à l’Ouest, considérant qu’il avait peu de chance de faire carrière en Pologne alors sous domination soviétique. Le maître l’aida même à passer de l’autre côté du rideau de fer.

Igor Mitoraj
Igor Mitoraj: Eros Bendato. Cracovie, Pologne.

L’éclosion parisienne

En 1968, Igor Mitoraj partit ainsi étudier peinture et graphisme à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris. Pour subvenir à ses besoins matériels, il occupa divers emplois, comme celui de déménageur. Il aimait raconter cette époque où il hissait des meubles par les escaliers jusqu’au sixième étage d’immeubles parisiens.

Avec ses premières économies, Mitoraj voyagea au Mexique au début des années 1970. Il y découvrit l’art précolombien et décida de s’orienter vers la sculpture. En 1976, il eut l’opportunité d’exposer à la renommée galerie La Hune à Saint-Germain-des-Prés. Il gagna alors une rapide notoriété. En 1983, il installa sa première œuvre monumentale intitulée Le Grand Toscano, l’une de ses cinq sculptures en bronze présentées à La Défense.

Igor Mitoraj
Igor Mitoraj: Le Grand Toscano. La Défense, France.

Igor essaya aussi de retrouver la trace de son père biologique. Ayant réussi à en obtenir l’adresse, il s’arrêta à la porte, n’osant finalement pas sonner. « Peut-être ai-je inconsciemment choisi le secret », avoua-t-il plus tard.

Igor Mitoraj
Igor Mitoraj: Lumière de la lune. Scheveningen, Pays-Bas.

Le sculpteur philosophe

Son séjour mexicain lui avait donné le sentiment profond qu’il était un homme d’une culture européenne trouvant ses origines en Méditerranée.

L’antiquité devint l’une de ses principales sources d’inspiration. Sa création sculpturale ranima ainsi les thèmes mythologiques et historiques gréco-romains. Mais l’artiste affirma sa singularité en réinterprétant la beauté et les proportions parfaites des sculptures classiques.

Il en reprit la grâce du modelé et la sensualité des traits. Il soignait aussi ses patines. Cependant, pour souligner l’imperfection de la nature humaine, il choisit de tronquer, briser ou fissurer ses statues. Ses motifs récurrents furent des parties de visage, des têtes bandées et des corps mutilés. Igor Mitoraj disait que les bandages protégeaient ses personnages de la brutalité du monde, et que les fragments avaient un plus grand pouvoir d’expression que le corps tout entier.

Il souhaitait montrer ainsi l’impermanence de la vie humaine et les mutilations de l’âme. Malgré ses rêves d’immortalité, l’homme a perdu confiance dans un monde d’où les dieux ont disparu.

Igor Mitoraj
Igor Mitoraj: Exposition « El mito perdido » (2006). Valence, Espagne.

Dans les traces de Michel-Ange

L’Italie, qu’il avait visitée à de nombreuses reprises, devint sa deuxième patrie à partir de 1983. Igor Mitoraj installa alors son atelier à Pietrasanta, un village toscan connu depuis l’antiquité pour son travail du marbre, extrait des proches carrières de Carrare. Michel-Ange avait déjà choisi ce matériau pour sublimer la brillance de ses sculptures. Et Mitoraj, qui travaillait jusqu’alors la terre cuite et le bronze, souhaitait suivre ainsi le sillon du maître de la Renaissance.

1985 marqua un tournant dans sa carrière. Maria Angiolillo, mécène et personnalité influente, veuve de Renato Angiolillo, propriétaire du quotidien Il Tempo, soutint en effet l’organisation d’une prestigieuse exposition individuelle de l’artiste à Rome. Mitoraj put ainsi présenter vingt sculptures monumentales au château Saint-Ange. L’exposition connut un immense succès et lança la carrière internationale du sculpteur.

En 2004, une soixantaine d’œuvres de Mitoraj furent installées aux Halles de Trajan, lieu emblématique du classicisme. Ses sculptures y animèrent les espaces imposants de la Grande Salle et du Grand Hémicycle, ainsi que la Via Biberatica.

Deux ans plus tard, il réalisa d’immenses portes en bronze de plus de six mètres de haut, représentant la Résurrection et l’Annonciation, pour la basilique romaine Santa Maria degli Angeli e dei Martiri, dont le bâtiment avait été aménagé par Michel-Ange au 16e siècle.

Igor Mitoraj
Igor Mitoraj: porte de l’église Santa Maria degli Angeli e dei Martiri (détail). Rome, Italie.

Igor Mitoraj décéda le 6 octobre 2014 à Paris. Il fut enterré à Pietrasanta, où un musée dédié à l’artiste ouvrit en 2021. Ses œuvres furent présentées dans plus de 120 expositions individuelles à travers le monde.

La résurrection de Pompéi

De mai 2016 à mai 2017, trente de ses statues trouvèrent une galerie inhabituelle: les ruines de l’ancienne cité romaine de Pompéi détruite lors de l’éruption du Vésuve au 1er siècle.

Igor Mitoraj
Igor Mitoraj à Pompéi. Grâce à la courtoisie de Michał Magdziak (michalmagdziak.pl).

Les héros légendaires trônèrent parmi les ruines antiques en s’intégrant parfaitement à l’atmosphère des lieux. Ils semblaient en faire revivre les habitants deux mille ans après qu’ils disparurent sous les cendres volcaniques.

Igor Mitoraj
Igor Mitoraj à Pompéi. Grâce à la courtoisie de Michał Magdziak (michalmagdziak.pl).

Cette exposition fut l’un des événements culturels italiens les plus importants de ces dernières années. Elle attira aussi des photographes passionnés qui souhaitaient fixer le souvenir de cette éphémère résurrection.

Igor Mitoraj
Igor Mitoraj à Pompéi. Grâce à la courtuasie de Michał Magdziak (michalmagdziak.pl).

L’interaction brute et instinctive d’une esthétique classique gréco-romaine et d’une conception artistique postmoderniste fit encore l’originalité de la création de Mitoraj. L’artiste revenait aux racines de la statuaire antique en en reprenant les proportions idéales et les canons de la beauté. En même temps, il souhaitait exprimer la fragilité du corps humain, aussi beau soit-il, face à la fugacité de la vie et la violence intemporelle de la nature.

Igor Mitoraj
Igor Mitoraj à Pompéi. Grâce à la courtuasie de Michał Magdziak (michalmagdziak.pl).

Igor Mitoraj dit un jour : « Je voudrais créer une sculpture parfaite, dans laquelle je pourrais entrer et finir ainsi ma vie. Je souhaiterais fusionner avec elle, en ne laissant aucun reste matériel ici-bas. »

Igor Mitoraj
Igor Mitoraj, 2014.

Bibliographie:

. Anna Zarzycka: Maestro Mitoraj (online, accès: 07.02.2022) Lente-magazyn.com

. Igor Mitoraj (online, accès: 07.02.2022) Culture.pl

. Mitoraj ai Mercati di Traiano (online, accès: 07.02.2022) Artesuarte.it

. Photographies de Pompéi: michalmagdziak.pl


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