Après la Bretagne au 19e siècle, la Provence devint au 20e siècle l’autre région de France très prisée des peintres polonais. Sur les traces d’artistes comme Vincent Van Gogh, Paul Gauguin ou Paul Cézanne, ils prirent la destination de Avignon, Aix-en-Provence, La Ciotat, Cassis, Sanary, Bormes, Saint-Tropez ou Vence.
Avant-garde
Jean Peské (en polonais: Jan Peszke, 1870 – 1949) fut l’un des précurseurs du voyage en Provence. Dans les années 1910-1915, il vécut ainsi à Bormes-les-Mimosas, avant, comme son ami Paul Signac, d’aller s’installer à Collioure. Son amie Marie Skłodowska-Curie figurait parmi les plus célèbres amateurs de ses œuvres.
Józef Pankiewicz (1866-1940) arriva en France fasciné par l’impressionnisme. Professeur à l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie, l’ami de Pierre Bonnard souhaitait créer un lien entre les écoles polonaise et française. Après de nombreux séjours à Saint-Tropez vers 1910, le fondateur du colorisme polonais succomba au charme de l’atmosphère méditerranéenne, qu’il associait au mythe de l’Arcadie.
1907 marqua le début du cubisme. C’est aussi l’année au cours de laquelle le peintre et poète Tytus Czyżewski (1880-1945), débuta un cycle d’études de plusieurs années dans la capitale française. L’artiste futuriste effectuera plus tard de fréquents séjours dans le sud de la France.
La Première Guerre mondiale amena beaucoup de polonais en France à s’engager sur le front avec l’espoir que la Pologne puisse retrouver son indépendance. Moïse Kisling (en polonais: Mojżesz Kisling, 1891 – 1953), volontaire dans la Légion Etrangère, fut gravement blessé lors de la bataille d’Artois en 1915. Envoyé en 1917 à Saint-Tropez pour un séjour de convalescence, l’élève de Pankiewicz, fasciné par la couleur, trouva dans les paysages méditerranéens, l’équivalent de sa propre personnalité, changeante et explosive.
Havre de paix
La Pologne retrouva son indépendance en 1918. Dans l’entre-deux-guerres, Józef Pankiewicz recherchait des havres provençaux moins bruyants que le très populaire Saint-Tropez. Il aimait particulièrement Cassis, Sanary et La Ciotat, où il passa les dernières années de sa vie.
Simon Mondzain (Szymon Mondszajn, 1888-1979) et Henryk Hayden (1883-1970) furent des élèves de Pankiewicz.
Jan Rubczak (1884-1942) ouvrit sa propre école de dessin à Paris en 1917 et s’intéressa aussi à la Côte d’Azur. Sa peinture reste indissociable du postimpressionnisme français promu en Pologne par Pankiewicz. Elle se caractérise par un art particulier de la perspective qui amène le spectateur à pénétrer véritablement l’image.
À partir de 1925, le port de La Ciotat devint le point d’ancrage d’une petite colonie d’artistes polonais. La jeune génération d’étudiants de Pankiewicz, appartenant au groupe des peintres kapistes, adopta en effet cet endroit charmant, parmi lesquels Józef Czapski, Artur Nacht-Samborski, Jan Cybis, Hanna Rudzka-Cybisowa et Dorota Berlinerblau-Seydenmann.
La crise économique des années 1930 limitait les possibilités de voyage des artistes. Mais le Sud de la France attirait aussi pour des raisons de santé. Le kapiste Zygmunt Waliszewski (1897-1936), atteint de la maladie de Bürger, arriva ainsi en 1930 aux Angles, près d’Avignon, sur la rive opposée du Rhône. Ce village provençal pittoresque était alors fréquenté par de nombreux peintres, parmi lesquels André Derain.
Guerre et exil
Pendant la Deuxième Guerre Mondiale, la Côte d’Azur accueillit des réfugiés en masse, des intellectuels d’origines diverses, parmi lesquels des artistes polonais. Mela Muter (1876-1967) se rendit ainsi à Avignon. Connue pour son amour des formes et de la profondeur, sa peinture était dominée par des tons mats, des verts, des ocres et des rouges atténués.
Les jeunes peintres qui quittaient la Pologne envahie par les allemands pouvaient compter sur l’aide de leurs confrères et aînés. Kazimierz Zielenkiewicz (alias Caziel) et Lutka Pink trouvèrent refuge à Aix-en-Provence, où ils bénéficièrent de l’aide et des leçons du professeur Jan Wacław Zawadowski, dit Zawado (1891-1982), l’un des plus célèbres élèves de Pankiewicz, qui passa cinquante ans en Provence. L’atelier de Zawado devint pendant la guerre un lieu de rencontre non seulement d’artistes mais aussi de résistants.
Certains des artistes polonais ou juifs polonais qui se cachaient dans le Midi de la France ne purent malheureusement pas éviter leur arrestation et déportation, à l’exemple de Jerzy Ascher (1884-1943) à La Ciotat ou Ignacy Hirszfang (1890-1943) à Saint-Paul-de-Vence.
Dictature et abstraction
Durant la dictature communiste qui suivit la guerre, la présence polonaise dans le Sud de la France eut une portée et une signification très différentes. Malgré l’assouplissement du régime polonais après la mort de Staline en 1956, les artistes voulant s’exprimer librement renoncèrent à l’idée de rentrer dans le pays. Les relations entre les milieux artistiques de Pologne et ceux de l’étranger étaient gelées. Les contacts officiels ne concernaient que des individus sélectionnés, acceptés par les autorités communistes. La carrière de nombreux artistes polonais en dehors de la Pologne dépendait donc presque exclusivement des institutions du pays hôte et du niveau d’organisation de la diaspora polonaise locale. Cette déchirure caractérisa la scène culturelle polonaise.
La popularité de la Provence ne diminua pas dans les milieux artistiques internationaux. Après la guerre, elle accueillit notamment Pablo Picasso et Marc Chagall. En 1948, Moïse Kisling rentra des Etats-Unis où il s’était réfugié pendant la guerre, et rouvrit son atelier de Sanary. Reconnu par Matisse comme l’un des meilleurs portraitistes de l’époque, Kisling en fit sa spécialité. Mela Muter s’installa également de manière permanente en Provence, acquérant d’ailleurs la nationalité française.
Dans les années 1950, Maria Sperling (1898-1995) et Józef Jarema (1900-1974), deux polonais connus dans la sphère de l’art abstrait, fondèrent le Art Club à Nice. En 1955, ils installèrent un atelier de tissage dans la villa « Joyeuse », ce qui leur permettait de réaliser leurs propres projets et fabriquer des tapisseries d’après les dessins d’autres artistes renommés tels que Arp, Bloc, Magnelli ou Villon. En 1963, ils organisèrent le premier Festival des Beaux-Arts de la Côte d’Azur. L’écrivain Witold Gombrowicz et son épouse Rita s’installèrent à Vence à partir de 1964 et furent souvent les invités de Maria Sperling et Józef Jarema.
Mieczysław Janikowski (1912-1968), l’un des plus importants peintres abstraits polonais, s’est également formé en France en 1947. Les oliviers figuraient parmi ses sujets préférés.
L’année 1981 fut marquée par l’instauration de la loi martiale en République Populaire de Pologne et une nouvelle vague d’émigration. La plupart des artistes s’installèrent à Paris. Kazimierz Pomagalski (né en 1938) partage sa vie entre la Provence et la Pologne depuis sa première exposition à Aix-en-Provence en 1979. Il crée des compositions à la limite de l’abstraction et de la figuration.
« Tout l’avenir du nouvel art est au sud »
C’est ce que Vincent Van Gogh déclara après son arrivée à Arles en 1888. Tout au long du 20e siècle, de nombreux artistes polonais ont pris part à ce mouvement et ont ainsi illuminé leurs créations d’une inspiration provençale qui a contribué à leur renommée internationale.
Bibliographie:
. Marta Chrzanowska-Foltzer: „ROZMOWY PROWANSALSKIE” — Polscy malarze na południu Francji od 1909 roku do dziś. ARCHIWUM EMIGRACJI, Studia – Szkice – Dokumenty, Toruń, Rok 2011, Zeszyt 1–2 (14–15).