Pot de Bronocice
Culture,  Histoire

Mégalithes et culture des vases à entonnoir

Dans les années 1930, des archéologues identifièrent de mystérieux mégalithes dans le nord et au centre de la Pologne. Ces monuments funéraires furent élevés il y a environ 5500 ans, presque un millénaire avant les premières pyramides égyptiennes. Ils représentent un héritage fascinant de la culture des vases à entonnoir, qui rassemblait des peuplades néolithiques du nord de l’Europe. Ce sont les plus anciennes pierres tombales en terres polonaises.

La plupart des mégalithes encore préservés se trouvent dans la région des plateaux du bassin supérieur de la Vistule, dans la région de Cujavie (en polonais: Kujawy), dans un environnement forestier enchanteur. Dans les années 1930, des paysans racontaient avoir vu d’énormes rochers disposés en rangées dans les bois. Des légendes locales évoquaient les sépultures de géants. Ces histoires intriguèrent les jeunes archéologues Konrad Jazdzewski (1908-1985) et Stanislaw Madajski (1908-1998). C’est ainsi qu’ils découvrirent les grandes tombes néolithiques de la région de Cujavie. Les principaux sites se situent à proximité de la ville de Izbica Kujawska, en particulier à Sarnowo, Gaj et Wietrzychowice.

Mégalithe
Mégalithe no 2, Wietrzychowice, Pologne

Des structures mégalithiques furent ensuite mises à jour dans d’autres régions polonaises: en Poméranie, Sainte-Croix, Petite-Pologne et dans les Pré-Carpates. Pourtant, au fil des siècles, des milliers de mégalithes disparurent irrémédiablement sous l’effet des migrations et de l’aménagement agricole. Et nous ne connaissons donc évidemment qu’une infime proportion du nombre de monuments funéraires qui furent élevés au Néolithique.

Tombes mégalithiques

Les tombeaux étaient d’une forme caractéristique trapézoïdale très allongée avec une section triangulaire. Certains atteignaient 150 mètres de long. Ils étaient généralement orientés est-ouest. L’entrée se trouvait à l’Est. Cette façade large de 6 à 15 mètres et haute d’environ 3 mètres était beaucoup plus grande que l’extrémité opposée qui ne dépassait pas un mètre de large et cinquante centimètres de haut. Le plus souvent, les mégalithes étaient recouverts d’un remblai de pierre et de terre et leurs parois étaient constituées de blocs de pierres ou de piles de bois. On pense que la pierre symbolisait l’éternité et l’utilisation de bois était due à la rareté des pierres dans certains lieux.

Sous le talus de la tombe, à une dizaine de mètres de l’entrée, se trouvait en général une seule sépulture d’homme, entourée de pierres. Dans quelques rares cas, cette sépulture principale était accompagnée de celle d’une femme ou d’un enfant, parfois une famille. L’équipement funéraire était souvent très modeste, limité à un outil en silex ou un bloc de calcaire, ce qui indiquerait un caractère plutôt symbolique. Parfois des objets plus prestigieux comme une hache ou une dague pourraient identifier les sépultures de chefs de tribus ou de guides spirituels.

Culture des vases à entonnoir
Mégalithes, Wietrzychowice, Pologne

L’entrée de certains mégalithes était constituée d’une structure en bois pouvant correspondre à un temple. A l’entrée ou au-dessus d’autres tombes, les archéologues trouvèrent d’ailleurs les restes de services funéraires et de cérémonies ultérieures en l’honneur du défunt ou d’une force divine. Les mégalithes étaient donc probablement le lieu de rituels cultuels communautaires.

Pouvoirs magiques

Plusieurs mégalithes polonais révélèrent des crânes portant des traces de trépanation. Ces opérations furent effectuées avec des outils en pierre, parfois à plusieurs reprises sur le même individu. L’examen minutieux des crânes montre que de nombreuses trépanations furent couronnées de succès. Certains historiens estiment qu’elles pourraient avoir eu une finalité non pas médicale mais cultuelle ou magique.

Les patients étaient probablement anesthésiés à l’aide de pavot à opium, cultivée dès cette époque dans la région. La découverte de pots à collerette, dont la forme, unique à la culture des vases à entonnoir, s’inspire de la capsule de graines de pavot, atteste de la popularité de cette plante. Aujourd’hui encore sa graine est très utilisée dans la pâtisserie polonaise, notamment en Silésie. Loin d’ici, des tablettes sumériennes témoignent également de la connaissance des effets sédatifs et psychotropes de l’opium à l’époque néolithique.

Des archéologues découvrirent aussi dans des mégalithes de Cujavie des couches de boue de rivière contenant un grand nombre de moules et d’escargots. Ailleurs, sur les rives de plans d’eau, ils exhumèrent les restes de probables sacrifices. Autant d’indices de cultes à des divinités des fleuves et des marais. Il faut dire que des pouvoirs magiques furent souvent associés à l’eau, source de vie.

La construction de monuments en pierre de grande dimension devait représenter un travail considérable à l’époque, engageant des dizaines d’hommes pendant plusieurs mois. Outre un rôle spirituel, ils pourraient avoir aussi constitué un signe extérieur de puissance destiné à souder la communauté et impressionner ses voisins.

La culture des vases à entonnoir

La culture des vases à entonnoir (ou culture des gobelets à entonnoir, de l’allemand Trichterbecherkultur, souvent abrégé en TRB) fut désignée en 1910 par un linguiste et archéologue allemand d’après la forme caractéristique de céramiques néolithiques retrouvées principalement dans la région du Danube. Située entre 4200 et 2700 avant notre ère, les archéologues en trouvèrent les traces dans la péninsule du Jutland au Danemark, au nord des Pays-Bas, au sud de la Suède, au nord-est de l’Allemagne, quelques régions d’Ukraine et une grande partie de la Pologne. Dans ce vaste territoire, la culture des vases à entonnoir n’était évidemment pas uniforme.

En Pologne, on identifia un groupe oriental spécifique. Ses sites néolithiques les plus importants se trouvent dans le sud-est du pays à Pelczyska, Grodek Nadbuzny et Cmielow.

culture des vases à entonnoir
Vase de Ćmielów, Pologne | Étendue approximative de la culture des vases à entonnoir

Cette région bâtît d’ailleurs au fil des siècles une célèbre tradition potière. Depuis la fin du 18 siècle, les fabriques de faïence polonaise «Ćmielów» et «Chodzież» comptent ainsi parmi les plus réputés producteurs de porcelaine en Europe.

Une agriculture féconde

La culture des vases à entonnoir fonda de petites colonies, souvent près d’une rivière. Protégés par une fosse et une palissade, les sites étaient composés de petites habitations rectangulaires à structure en bois de 10 à 20 mètres carrés. Ils abritèrent plusieurs générations. Les peuplades n’étaient cependant pas complètement sédentaires. Elles s’établissaient en effet dans des zones favorables à l’agro-élevage et se déplaçaient une fois la terre épuisée.

Les archéologues établirent que la culture des vases à entonnoir contribua de manière significative au développement de l’agriculture à travers une grande partie de l’Europe. Ses représentants ne se contentaient en effet plus des produits de la chasse et de la pêche. Ils élevaient des porcs, des moutons et des chèvres. Les tribus cultivaient plusieurs types de céréales, dont quatre ou cinq espèces de blé, l’orge et le mil. Elles récoltaient aussi lentilles et pois. Elles préparaient la terre grâce au labour et utilisaient des outils comme la houe ou la charrue. Les peuplades de l’époque savaient également filer, tisser et confectionner des vêtements en lin et en chanvre.

Ainsi, la culture des vases à entonnoir représenta une étape importante dans le développement du Néolithique moyen.

Indices généalogiques

Dans les années 1930, des cercles nationalistes allemands voulurent déceler un esprit pré-germanique dans la culture des vases à entonnoir, dont les mégalithes auraient symbolisé l’unité communautaire du Danemark à la Pologne en passant par le nord de l’Allemagne. Mais la recherche génétique récente a montré que trouver une unité génétique parmi les cultures préhistoriques était un malentendu. Les examens scientifiques établissent en effet que la culture des vases à entonnoir était mixte génétiquement.

A partir de 3100 avant J.C., elle fut d’ailleurs progressivement remplacée sur le territoire polonais, d’abord par la culture des amphores globulaires, puis par celle de la céramique cordée, d’après les ornements de ses poteries réalisés par l’empreinte d’une corde de chanvre avant cuisson. Cette culture du Néolithique final connut une importante migration de populations venues de l’Est. Elle fut ainsi dominée par les peuples indo-européens de l’haplogroupe génétique R1a, originaire d’Eurasie il y a au moins 20,000 ans, et aujourd’hui encore caractéristique des populations slaves d’Europe de l’Est. Il se distingue de l’haplogroupe R1b dominant en Europe occidentale.

Céramiques de la culture des vases à entonnoir
Céramiques de la culture des vases à entonnoir trouvées à Pełczyska, exposées au Palais Wielopolski à Chrobrze

Silex rayé

La région de Sainte-Croix, située à environ 50 km au nord-est de Cracovie, abrite à Krzemionki la plus grande carrière de silex néolithique au monde. Le site fut inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2019. Ses 78 hectares comptent plus de 4000 puits miniers qui furent exploités de 3900 à 1600 avant J.C. Une fois extrait, le silex rayé était travaillé dans des ateliers situés à proximité des mines.

On en a retrouvé les produits prêts à l’emploi ou semi-finis dans un rayon gigantesque pour l’époque d’environ 650 kilomètres autour de Krzemionki. 

Néolithique
Silex rayé. Musée de l’Ambre de Gdańsk.

Des historiens expliquent que le commerce à grande échelle de silex a certainement contribué de façon significative au développement rapide des peuplades néolithiques de la région.

La région de Sainte-Croix vit d’ailleurs une découverte majeure datant de l’époque de la culture des vases à entonnoir.

Le Pot de Bronocice

Elle abrite en effet à Bronocice les vestiges d’un immense bourg, considéré comme le plus important village néolithique d’Europe Centrale. Il est établi qu’il fut habité pendant plus de mille ans entre 3800 et 2700 avant J.C.

Les professeurs Janusz Kruk de l’Institut d’Archéologie et d’Ethnologie de l’Académie Polonaise des Sciences et Sarunas Milisauskas de l’Université de New York aux Etats-Unis y menèrent des fouilles entre 1974 et 1980. Les archéologues émirent l’hypothèse d’une culture contemporaine mais différente de celle des vases à entonnoir.

Leurs équipes mirent en particulier au jour les restes d’un pot en céramique incisé de gravures remarquables. Cinq d’entre elles évoquent un chariot tracté à quatre roues. Des lignes semblent représenter les axes des roues. Le cercle central pourrait symboliser un récipient pour les récoltes.

Culture des vases à entonnoir
Pot de Bronocice, reconstitution

Datée grâce à la technique du radiocarbone entre 3635 et 3370 avant notre ère, ce serait la plus ancienne représentation artistique d’un véhicule à roues connue à ce jour dans le monde. L’ornementation du pot de Bronocice est en effet contemporaine des plus anciens hiéroglyphes sumériens équivalents découverts sur des tablettes d’argile en Mésopotamie. Elle accrédite donc le fait que les chariots à roues existaient en Europe Centrale dès le milieu du 4e millénaire avant notre ère. Ils étaient probablement tirés par des aurochs, dont des restes furent d’ailleurs trouvés dans le pot de Bronocice. Des cornes d’aurochs portent en effet des traces d’usure comme si elles avaient été attachées par une corde.

Culture des vases à entonnoir
Schéma du pot de Bronocice

Le pot est aussi orné d’autres motifs, dont un arbre, une rivière, des champs, peut-être l’évocation du plan d’un village. Une archéologue émit ainsi l’hypothèse d’une écriture symbolique archaïque.

Ses fragments sont précieusement conservés au Musée Archéologique de Cracovie où seule une reconstitution est exposée aux visiteurs.

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Un documentaire en anglais sur les mégalithes


Bibliographie:

. Krzysztof Pałuszyński: „Megality – historia sprzed 5500 lat” – reżyser o filmie (online, accès 03.01.2021) Archeologia.com.pl.

. Agnieszka Czekaj-Zastawny, Jacek Kabaciński, Thomas Terberger: Geneza kultury pucharów lejkowatych w kontekście przemian kulturowych w Europie Północnej w V tys. B. Przegląd Archeologiczny, Vol. 61, 2013, pp. 189-213.

. Stanisław Kukawka, Jolanta Małecka-Kukawka: O genezie kultury pucharów lejkowatych i badaniach stanowiska w Dąbkach na Pomorzu Środkowym. Przegląd Archeologiczny, Vol. 64, 2016, pp. 173-184.

. D.M.Fernandes: A genomic Neolithic time transect of hunter-farmer admixture in central Poland (online, accès 03.01.2021) Nature.com.

. Kultura pucharów lejkowatych (online, accès 03.01.2021) Izbica-kujawska.com.

. Pełczyska – wielokulturowy kompleks osadniczy (online, accès 03.01.2021) Archeo.uw.edu.pl.

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