Histoire

L’Insurrection de Varsovie, 1944

Varsovie, aujourd’hui capitale moderne de la Pologne, fut dévastée pendant la Seconde Guerre mondialePas une partie de la ville ne fut épargnée. Le sujet de l’Insurrection, censuré pendant l’occupation communiste, surgit avec une grande émotion dans la Pologne libre. En traversant Varsovie, on peut voir presque à chaque coin de rue le cadre de tableaux commémorants des Polonais assassinés. On peut aussi encore croiser des personnes qui survécurent à la guerre et racontent ces événements.

L‘occupation allemande était oppressante en Pologne, alors qu’elle considérait Varsovie comme le centre de la résistance polonaise contre le « nouvel ordre » nazi. À partir de 1943, des exécutions massives de civils avaient eu lieu dans les rues. Des foules innombrables avaient été envoyées aux travaux forcés en Allemagne ou dans des camps de concentration. Après la liquidation du ghetto de Varsovie, les Allemands y avaient ouvert le camp de concentration KL Warschau avec un crématorium. Des prisonniers politiques polonais, des victimes de rafles et des juifs qui vivaient en dehors du ghetto y étaient massacrés.

Les plans allemands envers la Pologne étaient connus depuis longtemps. Le concept de « Lebensraum » présenté par Hitler dans « Mein Kampf » proposait de créer pour les Allemands un espace vital à l’Est. À cette fin, le « Ost Plan » prévoyait d’assassiner ou déporter vers l’Oural 85% de la population locale, et de détruire la Varsovie polonaise pour la remplacer par la ville allemande de Warschau, limitée à 200 000 habitants. 

La résistance polonaise au nazisme

Varsovie était le siège des autorités de l’Etat souterrain polonais et le lieu de fonctionnement des structures particulièrement fortes et bien organisées du mouvement de résistance. Le commandement de l’Armée secrète polonaise (Armia Krajowa) préparait un soulèvement pour soutenir les opérations des Alliés. La Russie avait rejoint les Alliés en juin 1941, et, comme l’Armée rouge se déplaçait plus vite que les armées alliées, il semblait que ce serait elle qui libérerait Varsovie. Ce n’était pas une vision favorable pour le gouvernement polonais en exil, non reconnu par les Soviétiques.

On se rendit compte qu’il serait nécessaire de se battre militairement contre les Allemands, puis, politiquement contre l’URSS. Les espoirs de s’entendre avec les Soviétiques avaient rapidement disparu. L’armée polonaise, qui s’était battue aux côtés de l’Armée rouge pour libérer Vilnius, avait été officiellement félicitée, mais après avoir subi les tirs des Soviétiques. Les soldats polonais se battant pour Lublin avaient connu un destin similaire.

Les Allemands connaissaient l’existence d’une armée souterraine varsovienne. Le 27 juillet 1944tandis que les unités soviétiques traversèrent la Vistule au sud de Varsovie, ils annoncèrent la réquisition de 100 000 hommes polonais pour construire une forteresse de défense contre l’Armée rouge, sous peine de mort en cas de non présentationSeulement quelques dizaines de personnes acceptèrent. L‘atmosphère dans la ville était trètendue. Le 28 juillet, le commandement de l’armée polonaise clandestine émit alors un ordre de mobilisation.

La situation dramatique de Varsovie

Le 29 juillet, la radio de Moscou lança un appel aux habitants de Varsovie leur demandant de se révolter contre les Allemands. Le commandement polonais se trouvait dans une impasse. Le soulèvement signifiait probablement la destruction de l’AK et la souffrance de la population civile. En même temps, il était difficile de décevoir les jeunes gens qui s’étaient préparés pendant des mois et attendaient avec impatience l’ordre du soulèvement. Cette génération avait grandi sous une occupation allemande brutale et était déterminée à prendre les armes. Le gouvernement en exil à Londres était opposé au soulèvement, mais laissa la décision finale au commandement des forces armées souterraines. Après la conférence des officiers polonais, le général Tadeusz Bor-Komorowski, commandant l’AK, prit la responsabilité d’engager la bataille.

Le 1er août 1944, à cinq heures de l’après-midi, l’ « Heure W » (nom de code de l’insurrection) fut déclenchée.

Construction d’une barricade à Nowy Świat par des habitants de la rue Chmielna. Photo: Stefan Bułak (domaine public)
L’Insurrection de Varsovie: leçon de tir (domaine public)
Soldats du bataillon Czata 49. Photo: Jerzy Piotrowski (domaine public)

Les combats

Autour de 40 000 ou 50 000 partisans, principalement de jeunes Polonais, se lancèrent, avec les quelques armes légères qu’ils avaient réussi à rassembler, dans la bataille contre des troupes équipées comme la division blindée SS Viking, espérant que les alliés livreraient de nouvelles armes. Deux jours après le déclenchement du soulèvement, Radio Moscou le condamna comme une conspiration contre l’Union soviétique, et l’Armée rouge s’immobilisa pendant six semaines dans la banlieue de Varsovie.

Après de premières actions victorieuses, l’offensive polonaise s’effondra le 5 août, et les insurgés entrèrent dans une défense sans issue.

Soldats allemands faits prisonniers par les insurgés de Varsovie. (Archiwum Ilustracji WN PWN SA, domaine public)

Jeux politiques

En septembre 1939, lorsque le Reich allemand et l’Union soviétique attaquèrent la Pologne, les États-Unis restèrent neutres. Quand les Allemands se retournèrent contre les Russes en 1941, l’Union soviétique et les États-Unis se retrouvèrent dans un groupe d’Alliés qui comprenait également la Pologne.

Les Alliés occidentaux envisagèrent d’envahir l’Europe pour vaincre l’Allemagne. Premier ministre du Royaume-Uni Winston Churchill était en faveur d’une attaque sur les Balkans, puis au nord jusqu’à la côte baltique. L’idée était de s’emparer de la partie centrale du continent avant les troupes soviétiques et de forcer l’Allemagne encerclée à se rendre, tout en empêchant les Soviétiques d’avancer en Europe. Josef Staline fut informé du projet de Churchill et mit tout en œuvre pour que le débarquement allié soit aussi loin que possible à l’Ouest, en Normandie. Président des États-Unis Franklin Roosevelt soutint la position du dictateur soviétique et seule une offensive secondaire sera lancée en Italie.

En 1943, Roosevelt, Churchill et Staline se rencontrèrent lors d’une conférence à Téhéran. Churchill n’avait pas le pouvoir de faire passer ses opinions et il fut décidé de partager l’influence en l’Europe entre les États-Unis et l’Union soviétique. Selon ce plan, la Pologne, les États baltes et d’autres pays d’Europe centrale et orientale devaient être inclus dans la zone d’influence soviétique. Le consentement de Roosevelt aux acquisitions territoriales soviétiques en Europe permettait d’affaiblir l’Angleterre et de renforcer la position américaine dans le monde occidental.

La fin de l’espoir

L’insurrection de Varsovie, qui devait durer une semaine, s’éternisa en 63 jours d’enfer. Pendant ce temps, les Allemands conquéraient des quartiers de la ville et y assassinaient les civils. Dans le district de Wola, ils perpétrèrent un massacre qui ébranla même une partie du commandement allemand: les rues étaient couvertes de milliers corps d’hommes, de femmes et d’enfants.

lnsurrection de Varsovie
Jakub Różalski: lnsurrection de Varsovie 1944 (jrozalski.com). Vision historico-fantastique. Grâce à la courtoisie de l’artiste.

Les soldats de l’AK manquaient d’eau, de nourriture, de médicaments et de munitions. Des parachutages furent entrepris par les Alliés, mais les avions devaient parcourir deux milles cinq cent kilomètres depuis le nord de l’Italie, ce qui rendait l’opération risquée et coûteuse. Churchill demanda que les Soviétiques mettent à la disposition des pilotes anglais et américains les aéroports qu’ils contrôlaient mais Staline refusa. De nouveaux parachutages furent tentés seulement mi-septembre (!), mais les Allemands avaient pris la majeure partie de la ville et presque toute l’aide leur parvint.

Jakub Różalski: lnsurrection de Varsovie 1944 (jrozalski.com).
Jakub Różalski: lnsurrection de Varsovie 1944 (jrozalski.com). Vision historico-fantastique. Grâce à la courtoisie de l’artiste.

Malgré la situation désespérée des insurgés, le commandement en chef de la Wehrmacht rédigea plus tard dans ses rapports que la lutte avait été aussi féroce qu’à Stalingrad.

Staline avait un plan politique pour la Pologne, et son intérêt était que les Allemands éliminent le mouvement de résistance qui pourrait empêcher plus tard la transformation de la Pologne en un satellite soviétique.

La ville-fantôme

Le 2 octobre, le général Bor-Komorowski signa la capitulation. 

Le bilan de l’insurrection de Varsovie fut néanmoins tragique. 18 000 soldats et 200 000 civils y perdirent la vie. Environ 500 000 autres civils furent acheminés dans des wagons à bestiaux dans des camps de travail obligatoire ou dans des camps de concentration en Allemagne. Puis Hitler envoya des unités spéciales de destruction, Vernichtungskommando, dont le but était de faire sauter ce qui restait dans la ville. 70% de la ville fut ainsi transformée en ruines, des archives et bibliothèques brûlées, des œuvres d’art et monuments historiques perdus, représentants d’une histoire de centaines d’années. Aussi, la Pologne perdit une génération de jeunes intellectuels et les conséquences sont sans doute encore perceptibles aujourd’hui.

Les ruines de Varsovie en janvier 1945. Vue de la Vieille Ville (domaine public)
Konstanty Mackiewicz: No (detail). 1961
Konstanty Mackiewicz: No (détail). 1961. Huile sur toile. 140 x 350 cm. Musée National de Varsovie.

Les Soviets

Quand les Soviétiques entrèrent dans la ville abandonnée, il n’y avait plus que des cadavres. En Russie, la propagande soviétique de la « libération » de Varsovie par l’Armée rouge persiste encore aujourd’hui. En fait, seuls des rats et des débris furent libérés.

Varsovie après la guerre
Varsovie après la guerre. Photo: Tadeusz Cyprian (domaine public)

Après l’Armée rouge, le NKVD, la police secrète stalinienne, et l’UB, le Bureau de Sécurité, sont apparus dans le pays. Leur objectif principal était d’éliminer tous les éléments jugés dangereux, en particulier les anciens membres de l’AK. Des milliers de soldats et de civils polonais partis à l’Ouest prirent la sage décision de ne pas retourner au pays. Les services de sécurité ont interrogé, torturé et assassiné des milliers d’anciens membres de la résistance polonaise. Selon les données disponibles aujourd’hui, 16 000 personnes ont ainsi perdu la vie.

Andrzej Wróblewski: Fusillé. 1948
Andrzej Wróblewski: Fusillé. 1948. Huile sur toile. 118 x 89 cm. Collection privée.

Le 1er septembre 1939, Varsovie comptait 1.3 million d’habitants. Le 1er août 1944, il n’y en avait déjà plus que 0.9 million. Après la chute de l’insurrection, la ville comptait moins de 1000 survivants.

Seconde Guerre mondiale
Konstanty Mackiewicz: No. 1961. Huile sur toile. 140 x 350 cm. Musée National de Varsovie.

Les experts militaires soulignent que le soulèvement de Varsovie a beaucoup ralenti la progression des Soviétiques vers l’Ouest. En raison de son déclenchement, Staline décida de suspendre l’offensive de l’Armée rouge sur la Vistule pendant cinq mois et demi. Jusqu’où l’Armée rouge aurait-elle eu le temps d’aller sans l’insurrection de Varsovie?

Y avait-il une alternative au soulèvement?

C’est l’une des questions les plus fréquemment posées en Pologne. La situation ressemblait à une tragédie grecque; il n’y avait pas de bonne solution. La thèse selon laquelle les Allemands auraient pu remettre la ville aux Soviétiques sans combat est très improbable. Leurs préparatifs indiquaient qu’ils voulaient transformer la capitale polonaise en forteresse. Hitler envoya à Varsovie le général Reiner Stahel, spécialiste de la défense des villes assiégées. Il y aurait eu de toute façon des combats sanglants à Varsovie.

L’Armée rouge attendaient aux portes de Varsovie et les Polonais voulaient rencontrer les Soviétiques en tant qu’hôtes d’une capitale libérée. Si, de manière improbable, les Soviétiques avaient pu prendre possession de la ville sans bataille, ils auraient organisé quand même une chasse aux membres de l’armée secrète polonaise AK. L’Occident n’aurait pas réagi car l’Union soviétique était officiellement un allié.

Hommage aux héros

Ancre – un symbole de la Pologne en lutte

La capitale polonaise honore l’héroïsme de ses habitants qui décidèrent de se lancer dans cette bataille inégale. On souligne non seulement la bravoure des soldats, mais aussi le support des agents de liaison, infirmières et autres civils. L’Insurrection de Varsovie est devenue le symbole de « la Pologne en lutte ».

Comme des enfants avaient aussi participé au combat, on érigea en 1983 le Monument au Petit Insurgé. Puis, en 1989, le Monument à l’Insurrection de Varsovie.

Monument au Petit Insurgé, Varsovie
Monument au Petit Insurgé, Varsovie (domaine public). Le monument a été dévoilé en 1983 sur la base d’un modèle du sculpteur Jerzy Jarnuszkiewicz.

Chaque année, le 1er août, à cinq heures de l’après-midi, une sirène retentit dans la ville pour annoncer une minute de silence commémorant l’  « Heure W ».

L’insurrection de Varsovie a aujourd’hui une dimension universelle. Elle reste le symbole d’une lutte tragique face à deux régimes totalitaires qui ont pris la Pologne en étau.

Pour ceux qui veulent mieux comprendre ce qui s’est passé, le tout récent Musée de l’Insurrection de Varsovie est un passage obligé de la visite de la capitale de la Pologne.


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Bibliographie:

Adam Zamoyski: Polska. Opowieść o dziejach niezwykłego narodu 966-2008.Wydawnictwo Literackie, 2011 (s.464 – 474).

Witold Kieżun, Barbara Mikulska, Oskar Maria Bramski: Prawda o Powstaniu Warszawskim (online), (accès: 30.07.2018) Opoka.org.

. Piotr Gursztyn: Teorie tzw. realistów i komunistów o Powstaniu łączy wspólny mianownik (online), (accès: 02.08.2020) Dorzeczy.pl.

. Paweł Stachnik: Lądowanie aliantów na Sycylii. Uderzyć w podbrzusze Europy (online), (accès: 02.08.2020) Dziennikpolski24.pl.

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