Culture,  Histoire

Les insurgés de Varsovie

Witold Kiezun (1922-2021), professeur polonais d’économie fut un soldat de l’armée clandestine AK qui participa à l’Insurrection de Varsovie en 1944. Il fut plus tard prisonnier d’un camp de travail soviétique. Il souligna dans des interviews que l’Insurrection fut avant tout un acte de révolte patriotique de jeunes gens qui avaient vécu cinq ans d’oppression allemande.

La tradition polonaise comptait déjà plusieurs combats pour l’indépendance. Les générations nées au début du 20e siècle avait grandi dans le culte des insurgés de 1863 contre la Russie tsariste. Depuis 1939, elles faisaient face à une réalité brutale où chaque jour pouvait être le dernier. Witold Kiezun dit à propos de l’occupation de la Pologne par le Reich allemand entre 1939 et 1945 : « Ils détruisirent notre jeunesse ».

Witold Kieżun, 2020
Witold Kieżun en 2020 devant sa photo de soldat lors de l’Insurrection. | Grâce à la courtoisie de Mikołaj Kaczmarek – Kolor Historii

Après les invasions allemande à partir du 1er septembre 1939, puis soviétique à partir du 17 septembre, la majorité du territoire polonais fut placée par le Troisième Reich sous le contrôle d’un Gouvernement général dès le 12 octobre. Le Schéma directeur pour l’Est du régime nazi planifiait que le Gouvernement général devienne à terme une province du Reich, et ce, une fois que les Polonais auraient été évacués ou exterminés pour laisser la place aux colons allemands. Hitler nomma Hans Frank en tant que Gouverneur général. Le criminel de guerre allemand sera condamné à mort lors du procès de Nuremberg.

La terreur nazie

L’occupation nazie fut immédiatement bien plus effrayante à Varsovie que dans les autres villes polonaises. Les Allemands la considéraient en effet comme le cœur hostile de la résistance polonaise. Le quotidien de ses habitants fut donc marqué par les fouilles, les rafles et les déportations en camps de travail forcé ou en camps d’extermination, dont la population polonaise compta parmi les premières victimes de la Deuxième Guerre mondiale.

Hans Frank décréta l’obligation de travailler pour tous les Polonais de 18 à 60 ans. Il l’élargit dès février 1940 à la population âgée d’au moins 14 ans. Les occupants considéraient que même les adolescents constituaient une menace à leur sécurité et un vivier pour la résistance polonaise, et souhaitaient donc les asservir.

80 à 100 milliers de Varsoviens furent ainsi déportés vers des camps de travail du Reich. La majorité d’entre eux allaient souffrir de problèmes de santé à vie. Sept sur dix contractèrent la tuberculose, un sur dix fut victime de fractures ou de mutilations. [1]

Des organisations militaires clandestines polonaises avaient commencé à se former dès 1939. Face à l’augmentation de l’intensité des rafles, elles appelèrent en février 1941 à un boycott du travail obligatoire. En septembre 1941, l’occupant allemand ouvrit, à 80 kilomètres de la ville, le camp de concentration de Treblinka I, destiné à ces rebelles ainsi qu’à tous les résistants. Il en fit une menace publique pour impressionner la population. Un peu moins d’un an plus tard, il lui adjoignit le sinistre et secret centre d’extermination nazi de Treblinka II, où 700 à 900 milliers de déportés, pour la plupart Juifs, furent assassinés.

Le déclenchement de l’Insurrection

En été 1944, les services de renseignement polonais apprirent que les nazis prévoyaient d’évacuer la population civile allemande et de transformer Varsovie en forteresse face à l’Armée rouge. Les espions allemands savaient quant à eux que l’Armée de l’Intérieur, organisation militaire clandestine polonaise plus connue sous le sigle AK (Armia Krajowa), comptait alors près de 380 000 combattants dans l’ensemble du territoire occupé. [2]

L’AK déclencha l’Insurrection de Varsovie le 1er août. Son objectif était de libérer et tenir la capitale pendant une semaine, puis la garder sous son contrôle à l’arrivée de l’Armée rouge, afin de pouvoir prétendre à une indépendance de la Pologne.

On sait maintenant que le maréchal soviétique Rokossovsky avait effectivement reçu l’instruction d’envahir Varsovie le 2 août et qu’au dernier moment, Staline lui ordonna de s’arrêter à la périphérie de la ville et de stopper les communications avec l’AK. [3]

Un combat solidaire livré à lui-même

Environ 60 000 personnes participèrent à l’Insurrection, principalement de jeunes soldats, mais aussi des infirmières et des enfants chargés de transmettre des messages ou des munitions. Les insurgés étaient soutenus par la population civile de la ville. Il n’y eut certainement aucun soulèvement solidaire d’une telle ampleur dans le monde.

Insurrection de Varsovie 1944
Chronique de l’Insurrection. En arrière-plan une affiche: Varsovie se bat | Grâce à la courtoisie de Mikołaj Kaczmarek – Kolor Historii

L’AK espéra en vain que les Américains et les Britanniques soutiennent le soulèvement. Roosevelt, Churchill et Staline s’étaient en effet déjà entendus, lors de la conférence de Téhéran fin 1943, sur le partage de l’Europe en zones d’influence. En dépit de leurs premiers succès, faute d’appui, les insurgés finirent donc par manquer d’armes et de nourriture. Trahis et abandonnés à leur sort par les forces alliées, ils se battirent malgré tout héroïquement pendant 63 jours avant de devoir capituler face à une armée SS suréquipée.

Le plus grand crime de guerre allemand exécuté lors de l’Insurrection de Varsovie fut le massacre de la population civile du quartier de Wola. Les nazis y assassinèrent en trois jours entre 40 et 60 milliers d’hommes, femmes et enfants, dont ils brulèrent les corps.

La vaillance des insurgés de Varsovie est l’une des pages les plus émouvantes de l’histoire de la Pologne au 20e siècle. Pendant la période soviétique, et même après la chute de l’URSS, les communistes prirent soin de ridiculiser l’Insurrection. L’ouverture en 2004 du Musée de l’Insurrection de Varsovie permit heureusement à cet évènement de trouver une juste place dans l’histoire et la culture polonaise. Des films furent aussi produits sur le sujet, dont Insurrection (Miasto 44), réalisé par Jan Komasa en 2014.

Les insurgés en images

Environ trente pour cent des bâtiments de la capitale polonaise furent détruits pendant l’Insurrection. Et après la capitulation, Hitler ordonna de raser le reste de la ville. Au-delà des visages pleins d’enthousiasme, puis d’espoir et enfin de peur des insurgés, c’est une autre raison pour laquelle les photos et les films réalisés lors de cette bataille suscitent autant d’émotions en Pologne.

Cet article est illustré de photos originales en noir et blanc, colorisées par Mikolaj Kaczmarek, auteur du profil Facebook Mikołaj Kaczmarek – Kolor historii.

Insurrection de Varsovie 1944
Chronique de l’Insurrection. Stanisław Firchał survécut à la guerre et décéda en 2007. | Grâce à la courtoisie de Mikołaj Kaczmarek – Kolor Historii
Insurrection de Varsovie 1944
Chronique de l’Insurrection. Barricade du quartier Nowy Świat | Grâce à la courtoisie de Mikołaj Kaczmarek – Kolor Historii
Insurrection de Varsovie
Chronique de l’Insurrection. Insurgés du quartier Śródmieście Północne | Grâce à la courtoisie de Mikołaj Kaczmarek – Kolor Historii
Insurrection de Varsovie 1944
Chronique de l’Insurrection. L’agent de liaison Ewa Ponińska, le prêtre Wincenty Marczuk et Mieczysław Kowalski. | Grâce à la courtoisie de Mikołaj Kaczmarek – Kolor Historii
Insurrection de Varsovie
Chronique de l’Insurrection. Les infirmières Hanna Baranowska et Barbara Bobrownicka-Fricze | Grâce à la courtoisie de Mikołaj Kaczmarek – Kolor Historii
Insurrection de Varsovie
Chronique de l’Insurrection. L’officier de liaison Jurek Kotuszewski tué le 9 août 1944 à l’âge de 13 ans. L’aide-infirmière Różyczka Goździewska (8 ans) | Grâce à la courtoisie de Mikołaj Kaczmarek – Kolor Historii
Insurrection de Varsovie
Chronique de l’Insurrection. Les soldats du bataillon Krybar ont capturé un blindé allemand. Rue Bartoszewicz | Grâce à la courtoisie de Mikołaj Kaczmarek – Kolor Historii
Insurrection de Varsovie
Chronique de l’Insurrection. L’attente | Grâce à la courtoisie de Mikołaj Kaczmarek – Kolor Historii
Insurrection de Varsovie
Chronique de l’Insurrection. Le sous-lieutenant Stanisław Sasinowski « Żbik » sur une barricade, rue Bracka | Grâce à la courtoisie de Mikołaj Kaczmarek – Kolor Historii
Insurrection de Varsovie
Chronique de l’Insurrection. Combats le 5 août 1944 | Grâce à la courtoisie de Mikołaj Kaczmarek – Kolor Historii
Insurrection de Varsovie
Chronique de l’Insurrection. Affiches : Chaque balle, un Allemand. Notre chemin vers la liberté 1939 – 1944. Les crimes allemands ne resteront pas impunis | Grâce à la courtoisie de Mikołaj Kaczmarek – Kolor Historii
Insurrection de Varsovie
Chronique de l’Insurrection. L’officier de liaison Julita Cyrus Sobolewska survécut à la guerre et décéda en 1993 | Grâce à la courtoisie de Mikołaj Kaczmarek – Kolor Historii
Insurrection de Varsovie
Chronique de l’Insurrection. Henryk Borecki lors des funérailles d’insurgés, rue Zgody | Grâce à la courtoisie de Mikołaj Kaczmarek – Kolor Historii
Insurrection de Varsovie
Chronique de l’Insurrection. Insurgés du bataillon Chrobry II dans lequel Witold Pilecki combattit | Grâce à la courtoisie de Mikołaj Kaczmarek – Kolor Historii
Insurrection de Varsovie
Chronique de l’Insurrection. Insurgés sur la place Napoléon. Aujourd’hui Place des Insurgés de Varsovie | Grâce à la courtoisie de Mikołaj Kaczmarek – Kolor Historii
Insurrection de Varsovie
Chronique de l’Insurrection. Petite fille sur une tombe | Grâce à la courtoisie de Mikołaj Kaczmarek – Kolor Historii
Insurrection de Varsovie
Chronique de l’Insurrection. Jerzy Bartnik, 14 ans, plus jeune soldat de l’Armée de l’Intérieur décoré de Virtuti Militari décéda en 2011. Les Allemands assassinèrent toute sa famille. | Grâce à la courtoisie de Mikołaj Kaczmarek – Kolor Historii

Le souffle de la résistance

L’Insurrection de Varsovie fut davantage que l’une des plus importantes batailles de la Seconde Guerre mondiale. Elle fut plus que l’action culminante de l’armée clandestine polonaise. Elle acquit en effet une valeur universelle et intemporelle. Deux totalitarismes se rencontrèrent à Varsovie, le nazisme allemand et le communisme soviétique, dont l’objectif commun était d’asservir la Pologne. Des insurgés se battirent pour leur liberté mais aussi pour leur dignité. Leur combat se termina de façon tragique. Mais leur bravoure insuffla certainement les forces résilientes qui permirent quarante-cinq ans plus tard, à leurs enfants de retrouver la démocratie, au sein d’une Europe apaisée.

Le 1er août de chaque année, Varsovie célèbre désormais l’anniversaire de l’Insurrection de 1944. Le temps passant, les vétérans se font rares, mais leur mémoire demeurera.


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Bande-annonce du film Insurrection de Jan Komasa


Notes:

. [1] Anna Milcarz-Chabrowska: Zapomniany obóz przy ul. Skaryszewskiej. To stąd wysyłano warszawiaków na roboty do III Rzeszy (online) Muzeum Powstania Warszawskiego, 1944.pl.

. [2] 70 lat temu powstała Armia Krajowa (online) Muzeum Historii Polski, Muzhp.pl.

. [3] Norman Davis o powstaniu warszawskim (online) Muzeum Historii Polski, Muzhp.pl.

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