Architecture,  Peinture

Les Polychromes de la Sixtine Silésienne

La Route des Peintures Polychromes de Brzeg dans la voïvodie d’Opole se prête particulièrement bien au vélo. L’itinéraire créé en 1997 passe par treize localités, dont Brzeg, Strzelniki, Krzyzowice, Pogorzele et Malujowice. Il permet de découvrir certaines des œuvres les plus précieuses de l’art silésien.

Certains villages de la région de Brzeg abritent en effet des églises de style gothique dit « primitif ». Ainsi, Malujowice dévoile un édifice dédié à l’Apôtre Jacques surnommé «La Sixtine Silésienne». Il sert d’écrin à de splendides fresques polychromes. Comme dans la chapelle vaticane éponyme, l’une d’elles représente le Jugement dernier. L’histoire du lieu de culte remonte aux années 1250. Henri III le Blanc fut probablement son fondateur. Ce prince de la dynastie Piast le confia alors aux sœurs dominicaines de Wroclaw.

Małujowice, Pologne. Eglise de Saint-Jacques Apôtre.

Biblia Pauperum

Au 14e siècle, Samborius de Ostrzeszow décida d’agrandir l’église. Des peintures polychromes représentant des scènes bibliques recouvrirent alors les murs de l’édifice. Elles constituaient en fait une «Biblia Pauperum», une Bible du Pauvre. Son but était en effet de transmettre par l’image le message de l’Évangile aux illettrés.

Peintures Polychromes
Małujowice, Pologne. Eglise de Saint-Jacques Apôtre. © Photo: Art Polonais.

Finalement, c’est une sorte de bande dessinée fascinante et pittoresque qui vit le jour. Son auteur, un artiste de l’École de Prague, sembla parfois faire preuve d’imagination. Ainsi il peignit à plusieurs reprises Moïse avec des cornes. Peut-être pensez-vous qu’il s’agit d’une manifestation du sens de l’humour tchèque ? Mais Michel-Ange affubla aussi le prophète de cornes. En fait, dans sa traduction latine de la Bible, Jérôme de Stridon avait bien écrit au 4e siècle que Moïse était descendu du mont Sinaï avec des tablettes et des cornes sur la tête. Certains commentèrent qu’à cause de l’absence de voyelle dans l’écriture hébraïque ancienne, le futur Saint-Jérôme aurait mélangé les termes «keren», cornu, et «karan», rayonnant.

Mais une autre explication semble plus vraisemblable. Le lait de vache étant à la base de l’alimentation proto-indo-européenne, sa symbolique se retrouva au cœur des cultures indo-européennes. Les cornes de bœuf devinrent un attribut de pouvoir, de richesse, d’autorité et finalement de divinité. Cette prééminence symbolique se retrouva aussi dans les religions abrahamiques. Lorsque Dieu révéla les Dix Commandements à Moïse, il affubla ainsi sa tête de cornes. 

Peintures Polychromes
Małujowice, Pologne. Eglise de Saint-Jacques Apôtre. © Photo: Art Polonais.

Pas moins de 640 planches multicolores décorées de motifs végétaux, animaliers ou géométriques, réalisés au pochoir, recouvrent le plafond de l’église de Malujowice. Cette décoration renforce véritablement l’impression d’être au cœur d’un livre d’images.

Peintures Polychromes en Silésie
Małujowice, Pologne. Eglise de Saint-Jacques Apôtre. © Photo: Art Polonais.

Redécouverte des peintures polychromes

En 1526, alors que le duché de Brzeg se convertit au protestantisme, les luthériens accaparèrent l’église de Saint-Jacques Apôtre. Les peintures polychromes à motifs bibliques ne correspondaient pas au nouveau dogme. Elles furent recouvertes de plâtre, ce qui allait finalement les protéger des outrages du temps. Redécouverte en 1865, une partie de la décoration de l’église fut malheureusement trahie par des conservateurs prussiens qui, lors d’une opération de restauration, pensèrent utile de peindre des éléments manquants.

Après la dernière guerre, le temple redevint catholique. L’intervention de la Faculté de conservation et de restauration d’œuvres d’art de l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie permit de retrouver l’aspect originel de la polychromie. Le grattage minutieux de la couche supérieure prit de nombreuses années, mais cela en valait la peine: en pénétrant dans l’église de Malujowice, le visiteur a véritablement le souffle coupé d’admiration.

Polychrome en Silésie
Małujowice, Pologne. Eglise de Saint-Jacques Apôtre. © Photo: Art Polonais.

Une histoire mouvementée

L’histoire de l’édifice reflète celle de la Silésie. Gouvernée par les princes Piast de la première dynastie polonaise, cette région est toujours restée un des piliers de la culture polonaise.

Carte de la Silésie dans les frontières administratives actuelles des pays.

Le diocèse de Wroclaw fut ainsi fondé en l’an mil par Boleslas, premier roi couronné de Pologne. Il était le fils de Mieszko, premier duc historique de Pologne, conquérant de la Silésie, et converti au christianisme pour éviter l’incorporation au sein du Saint-Empire Germanique. Redevenu un duché autonome en 1138, la région se retrouva placée sous la souveraineté du royaume de Bohême en 1335.

Lors de sa conquête par les Habsbourg en 1526, la région revint à la monarchie autrichienne, puis à la Prusse en 1763 à la suite des guerres de Silésie. Depuis lors, la germanisation de la région s’intensifia, malgré la résistance de la majorité de la population de langue polonaise. Après l’indépendance retrouvé de la Pologne en 1918, trois soulèvements éclatèrent en Silésie pour demander le rattachement à la nouvelle république. La région fut finalement scindée de manière arbitraire par la SDN.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Nazis expulsèrent la population polonaise de la Silésie, assassinant les insurgés et les membres de l’intelligentsia polonaise engagée politiquement. En 1945, la République populaire de Pologne incorpora la quasi-totalité de la région sous le nom de «Territoires Récupérés». Elle la repeupla de nombreuses familles polonaises originaires de la région orientale des Kresy, annexée à l’Ukraine par Staline. Ce n’est qu’en 1990 que l’Allemagne reconnut la frontière, à la demande de l’Union Européenne et en échange de sa réunification post-communiste.

Art total

Malujowice et son église survécurent aux épreuves de cette histoire mouvementée. Préservé par la population, le monument aux morts dressé à l’époque devant le portail de l’édifice commémore aujourd’hui encore les soldats originaires du village qui tombèrent au combat du côté allemand lors de la Première Guerre mondiale.

Le charmant portail d’entrée de la petite église s’inspire des plus grandes cathédrales. Sculpté dans le grès, le tympan juxtapose trois scènes, avec, de haut en bas: le couronnement de la Vierge Marie, l’Adoration des mages et la Visitation. Il est surmonté d’une fresque de la fin du 15ème siècle aux tons et motifs végétaux. La porte en bois est revêtue de ferrures gothiques figurant des oiseaux et d’autres animaux avec des références symboliques à l’Evangile. De part et d’autre, des colonnes sont sculptées de rosettes romanes.

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Małujowice, Pologne. Eglise de Saint-Jacques Apôtre. © Photo: Art Polonais.

La décoration de l’église de Malujowice se démarque du style de la plupart des édifices religieux polonais. Le baroque y domine, avec son visuel spectaculaire supposé montrer la supériorité du catholicisme, tant lors de la contre-réforme en Silésie que pendant l’Union de Pologne-Lituanie.

La Route des Peintures Polychromes de Brzeg met en exergue les plus belles fresques de Pologne, qui sont aussi de rares survivants de l’art de l’époque de la dynastie des Piast.


Bibliographie:

. Zarys programu rewaloryzacji polichromii kościoła (online, 29.08.2019), Idb.com.pl

. Małujowice – Kościół św. Jakuba (online, 29.08.2019), Medievalheritage.eu

. Tajemnica świątyni w Małujowicach (online, 29.08.2019), Focus.pl

. Mariusz Agnosiewicz: Mleczne korzenie Europy (online, 18.10.2021) Racjonalista.pl

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