Culture

Jazz, poésie et plaisanterie

On dit pour plaisanter que la Pologne compte le plus grand nombre de poètes par habitant. Comme les poètes expriment habituellement la douleur de l’existence, il n’est pas surprenant que leurs plus grandes révélations littéraires soient apparues dans les temps difficiles. Paradoxalement, ce fut aussi le cas des cabarets. L’un des plus célèbres est Piwnica pod Baranami (littéralement: La cave sous les moutons). Son nom vient d’un motif architectural du bâtiment situé au numéro 27 de la Grand-Place de la vieille ville de Cracovie.

L’aventure commença en 1956, trois ans après la mort de Joseph Staline, au moment du soulèvement contre la terreur politique dans le bloc communiste. Quelques étudiants décidèrent alors de créer un cabaret à Cracovie. Le chef du groupe était Piotr Skrzynecki (1930 – 1997), un homme au charisme et au sens littéraire inhabituels. Piwnica attirait les artistes à l’esprit bohème de la ville de cette époque. Les représentations comprenaient de la poésie chantée, aux côtés de satires prudentes due à la censure en vigueur dans le pays.

Cabaret surréaliste

Les programmes étaient adressés à un public sélectionné qui devait, soit recevoir une invitation de Piotr Skrzynecki lui-même, soit être présenté par un membre de la communauté de Piwnica. Cet élitisme contribua à l’extraordinaire popularité de ce lieu singulier et mystérieux.

Piwnica évoquait la tradition du mouvement dada et du surréalisme. La scénographie était faite d’«objets morts» à l’instar des œuvres de Marcel Duchamp. Le maître-mot était la liberté d’expression artistique. C’était en fait une parodie de toutes les conventions connues de la scène, du théâtre, de la musique et de la littérature. Moquerie des metteurs en scène et acteurs, de leurs propres ambitions et de l’impossibilité de les réaliser. Moquerie du spectateur aussi. La clé était l’improvisation, qui déterminait la spontanéité de chaque représentation.

Au fil du temps, le répertoire devint de plus en plus ambitieux. Plusieurs musiciens liés à Piwnica gagnerent en notoriété dans les années 60 et 70, comme Anna Szałapak, Jacek Wójcicki, Marek Grechuta et Grzegorz Turnau. De nombreux poètes et écrivains, comme Czesław Miłosz et Sławomir Mrożek, se sont rendus dans la cave a la même époque, ainsi que les réalisateurs de cinéma Andrzej Wajda et Roman Polański.

Ewa Demarczyk

Dans les années 60, Ewa Demarczyk fit, avec le compositeur Zygmunt Konieczny, la promotion de Piwnica comme le cabaret de toute la Pologne. L’une des représentations les plus célèbres de Demarczyk fut créée pour le poème de Julian Tuwim: Grande Valse Brillante.

Ewa Demarczyk se produisit avec succès dans le monde entier, en Autriche, Allemagne, France, Suède, Grande-Bretagne, mais également aux États-Unis, à Cuba, au Brésil, dans des salles de spectacle aussi prestigieuses que l’Olympia et Carnegie Hall. En France, on lui offrit un contrat que Demarczyk refusa, craignant de devoir abandonner son propre style à la mode française.

Jazz interdit

À la fin des années 50, Piwnica était aussi devenu le cœur du jazz en Pologne. Il faut souligner qu’à cette époque la promotion du jazz, suspect politique et moral, était strictement interdite par les autorités communistes. En raison de la violation de la censure, Piwnica fut fermé à plusieurs reprises suite à des dénonciations d’agents dissimulés dans le public.

Le professionnalisme et la ténacité de Piotr Skrzynecki, chargé des contacts avec la censure, permirent à Piwnica de continuer ses activités. La groupe de jazz Krzysztof Komeda y donna plusieurs concerts.

Wanda Warska

Chanteuse de jazz, chanteuse, compositrice, poète et peintre, Wanda Warska est devenue célèbre pour ses interprétations. On dit que la mode d’alors pour la poésie chantée a encouragé les générations futures à lire des poèmes.

L’un des albums les plus importants de l’histoire du jazz polonais est «Somnambulists» (1961) de Wanda Warska et son mari Andrzej Kurylewicz.

Tout est dans l’happening

Au temps du communisme, un sens de l’humour sophistiqué et des sketchs intelligents donnaient l’espoir de meilleurs lendemains. En règle générale, les thèmes politiques n’étaient pas abordés au cabaret. Pour cette raison, le public était extrêmement sensible à toutes les allusions et nuances verbales; le mot «Moscou» pouvait suffire à faire rire. 

Les artistes célébraient festivement chaque anniversaire du cabaret. Des réceptions étaient aussi organisées à l’occasion de Noël et de Pâques. Piwnica mettait également en scène des représentations autour de thèmes historiques dans les rues de la ville, dans lesquels des spectateurs étaient invités à participer: des conducteurs de fiacre, des fleuristes ou des passants. Skrzynecki a toujours été l’initiateur et l’organisateur de ces événements.

Piotr Skrzynecki arpentait Cracovie avec son chapeau noir à plume, sa cape et son inséparable petite clochette. C’est ainsi qu’une sculpture le représente devant le café Vis-à-Vis sur la Place du Marché de Cracovie. Skrzynecki vivait seul. Il avait créé sa propre légende, qui au fil du temps devenait pesante. Néanmoins, il ne voulait pas quitter Cracovie, dont il était devenu une icône. 

Piwnica pod Baranami fonctionne encore aujourd’hui. Les équipes ont changé mais l’esprit de Piotr est resté. L’anniversaire de Piotr Skrzynecki continue d’être célébré sous la forme de concerts au Théâtre Juliusz Słowacki.

Piotr Skrzynecki (kultura.onet.pl).

Bibliographie:

. Anna Chowaniec: Kabaret Piwnicy pod Baranami, czyli o satyrze na rzeczywistość 2. połowy XX wieku. Meakultura.pl.

error: